Tiffany Schneuwly – Voilà une lecture qui m'attendait depuis longtemps! "Entre deux feux, les chuchoteurs" est le tout premier roman de l'écrivain fribourgeoise Tiffany Schneuwly, et depuis, elle a fait son chemin, signant une dizaine de livres dans la veine de l'imaginaire et du fantastique. C'est cependant dans ce premier livre qu'elle fonde son univers d'anges tourmentés, dans lequel Eurielle, personnage principal, semble trouver aisément sa place.
Dans "Entre deux feux, les chuchoteurs", on passe du fantastique au merveilleux, et l'écrivaine joue très bien sur les deux tableaux. Ainsi, les premières rencontres d'Eurielle avec les anges sont marqués par l'incertitude: qui sont-ils, Eurielle les voit-elle? Le mystère s'installe ainsi, donnant à croire à Eurielle qu'elle a peut-être quelque chose de spécial. L'incertitude est ensuite rompue au profit du merveilleux, à l'occasion d'un accident: Eurielle, figure discrète mais non dépourvue de répondant, est ainsi propulsée dans le monde des anges, où certaines contraintes rationnelles sont suspendues: des licornes se baladent, on se nourrit à des buffets sans qu'on sache qui produit ce qu'on y mange, et tout ce monde est régi par un grand sage respecté de tous ou presque – une gouvernance à l'ancienne, sans séparation des pouvoirs, fondée sur la confiance en un leader charismatique, Karel, aux injonctions paternalistes et arbitraires. Il est à relever que les deux niveaux, celui du naturel et celui du surnaturel, coexistent au gré des points de vue, ce qui est habile.
Eurielle a un rôle à jouer dans ce monde, un rôle important même, puisqu'elle est considérée comme "l'Elue": on attend d'elle qu'elle résolve les tourments d'un univers transcendant en proie aux conflits. C'est là qu'elle apprend les vicissitudes de son passé d'ange qui a vécu sur terre, enfant unique d'un couple présenté comme exécrable, adepte entre autres du mariage arrangé: Monsieur est diplomate (mais n'a pas de mission à l'étranger), Madame est avocate (et soucieuse de la pérennité de son cabinet).
Et qui sont ces anges qu'Eurielle rencontre à l'aube de ses vingt ans? Apparaissant conditionnés comme les humains par des contraintes matérielles (ils mangent, se reproduisent, se reposent), ils apparaissent plutôt comme des surhommes (et surfemmes) pourvus d'ailes et dotés de pouvoirs magiques tels que la capacité de téléportation. L'auteure les répartit entre anges du bien, blonds, et anges du mal, noirauds; le défi étant de trouver "l'équilibre" entre ces deux tendances, qui se traduisent par, d'une part, une sagesse un brin timorée (portée par l'ange Nolann) et, d'autre part, une audace séduisante (portée par son comparse Erwan). Cette visée d'équilibre permet de tempérer l'impression de manichéisme, de même que la constitution d'un troisième camp: celui des anges rebelles autour de Guerric.
Incarnations du bien et du mal, ces anges chuchotent donc à l'oreille des humains, comme le suggère le titre, leur diffusant leur propre notion du bien et du mal: tel est leur rôle traditionnel d'anges gardiens. Pour des anges, il convient de relever qu'ils ne rejettent pas la violence, si elle est utilisée pour une cause jugée bonne (attentats contre Hitler, par exemple), et ont leurs armes.
Il est important de noter que l'auteure donne à Eurielle deux paires de parents, suggérant le thème de ce que sont de "vrais" parents: sont-ils les parents biologiques, les parents de cœur, ceux auprès desquels on a grandi même s'ils sont détestables? L'auteure suggère qu'Eurielle, même si elle a de vives attaches avec des personnages humains, est très vite à l'aise avec ses parents angéliques; mais il n'est pas impossible qu'elle se garde des ressources en laissant vivre les parents terrestres d'Eurielle. Reste que cette dernière, à l'aube de sa vie d'adulte, a encore pas mal à découvrir, tant en matière de pouvoirs angéliques que de qualités humaines: ainsi apparaît-elle singulièrement peu consciente de la force qu'elle peut tirer du jeu avec les sentiments: "Mais je n'avais jamais imaginé pouvoir en tirer profit [des sentiments] et en faire découler des pouvoirs personnels", lâche-t-elle naïvement, p. 117.
Nous voilà donc en présence d'un univers d'êtres surnaturels nommés "anges", vivant une période de crise due à la rébellion de l'ange Guerric. L'auteure témoigne d'une certaine tendresse pour le personnage d'Erwan le taquin, suggérant la possibilité d'un amour entre lui et Eurielle. Voilà un roman qui, avec ses allures d'exposition étendue, constitue un bon début pour une saga! Gageons que l'auteure a su développer par la suite (notamment dans "L'Equilibre"), les éléments de l'intrigue qu'elle a fait naître dans "Entre deux feux, les chuchoteurs", ainsi que les éléments philosophiques qui sous-tendent l'univers angélique qu'elle a créé.
Tiffany Schneuwly, Entre deux feux, les chuchoteurs, Paris, Mon Petit Editeur, 2010.
Le site de Tiffany Schneuwly, celui de Mon Petit Editeur.
Lu (dans les deux éditions du roman) par Axl, Céleste, Elodie Liseuse, Kaecilia, Limaginaria, Lou, Madoka, Virginie Fleuranceau, Virtuellement vôtre.
Coup de pub: la romancière Tiffany Schneuwly donnera une lecture de ses œuvres, en dialogue avec l'écrivaine Marilyn Stellini, spécialisée dans la romance, le vendredi 22 mars 2019 à l'Espace Phénix de Fribourg (Suisse), à 20h15. Une soirée lecture sur la littérature de genre organisée par la Société fribourgeoise des écrivains.
Je ne pensais pas que le sujet t'intéressait.
RépondreSupprimerC'était une découverte aussi!
Supprimer