dimanche 10 février 2019

Marcel Detiège: un peu d'Albert Camus entre Cédric et Cécile

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Marcel Detiège – C'est un titre inspiré d'Albert Camus que l'écrivain belge Marcel Detiège, par ailleurs chroniqueur judiciaire et littéraire, donne à son deuxième roman, "Le Juge pénitent". Faut-il être pénitent pour être juge, juge pour être pénitent? La question est posée dans "La Chute". Et elle revient dans le court ouvrage de Marcel Detiège.


D'emblée, le lecteur est porté par le style précieux qu'adopte l'auteur, un style qui recherche les mots rares et ose les archaïsmes. Cela, pour raconter une histoire qui, si elle se passe à notre époque, est celle de toujours: des amours, une envie d'enfant, de la jalousie. Et deux personnages que la vie rapproche, ce que suggèrent leurs prénoms aux sonorités proches: Cécile et Cédric.

Cécile? "Patuit dea", a-t-on envie de dire lorsqu'on la voit apparaître dans ce roman, belle sur sa planche à voile. Dans la même veine érudite, mais un peu attendue, l'auteur recourt à l'image de la Vénus anadyomène pour décrire la façon dont ce personnage s'impose dans "Le Juge pénitent". Cécile fonctionne à l'instinct, et semble dès lors se poser en opposition complémentaire à Cédric, présenté comme un bonhomme piloté uniquement par son cerveau. Un choix délibéré: "Cécile avait pris le parti de la nature et Cédric le parti de la morale", lit-on.

Un cérébral, en effet, "un homme de saine raison" que ce Cédric, un bonhomme prisonnier de certaines habitudes culturelles, peut-être d'une éducation rigide. Cédric sait refuser, mais refuse aussi d'utiliser le mot "non", par politesse. C'est un homme qui juge, fort de ses certitudes, parce que c'est son métier. L'auteur accentue ce trait de caractère en donnant à Cédric des airs de professeur. Cécile saura-t-elle trouver la part animale qu'il a en lui? Décrivant quelque étreinte, quelques pages recèlent une sensualité indéniable, rappelant le roman libertin du dix-huitième siècle.

Et puis il y a la possibilité d'un enfant... évoquée assez rapidement dans le roman, ce qui souligne l'importance de la question. Cet enfant ne viendra jamais, Cédric refusant d'en faire, en héritier d'Alain. Un refus évasif, qui ne sait pas être ferme. Au fil des pages, avec ses personnages, l'auteur souligne mine de rien l'impossibilité de répondre à la double question: "Pourquoi un enfant? Et pourquoi pas?". Ce désir d'enfant de la part de Cécile entre en résonance avec le personnage du chien du juge, un animal qui suscite la jalousie: nommée "Chérie", la bête est-elle de trop, est-ce elle qui motive le rejet de la paternité par Cédric?

Et en fin de roman, le doute s'installe, colorant le propos: c'est un accident qui va suggérer au juge qu'il pourrait se sentir coupable de quelque chose – et devenir dès lors pénitent, en tout cas remis en question dans son essence. Une remise en question qui conclut un livre aux airs de conte à l'ancienne, écrit avec tout le soin qu'on doit aux grands thèmes.

Marcel Detiège, Le Juge pénitent, Paris, La Table Ronde, 2011.

Le site des éditions La Table Ronde.

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