mardi 26 février 2019

Ils sont trois, loin de la Terre...

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Bastien Roubaty – C'est à un voyage de science-fiction que l'écrivain fribourgeois Bastien Roubaty invite ses lecteurs pour son deuxième roman, "Après Saturne". On y retrouve le côté décalé, façon Boris Vian, de son premier ouvrage, "Les Caractères", car bon sang ne saurait mentir; mais en abordant les mondes extérieurs à la Terre, l'écrivain sait repenser son univers littéraire, sans se renier.


Oui, l'auteur aime jongler avec les mots pour faire d'eux les vecteurs d'un monde vu en décalé. On sourit lorsque l'écrivain prend une expression au pied de la lettre, ou en prend même le contrepied, obligeant le lecteur à s'interroger, à changer de point de vue sur des tours de langage déjà mille fois entendus ou lus. 

Mais voilà: "Après Saturne", c'est l'histoire d'un voyage loin de la Terre, organisé à titre expérimental sur une durée de trois ans. Les voyageurs sont au nombre de trois aussi: nouvelle trinité divine en puissance? Les honneurs qui les attendent, hochets modernes de la vénération, semblent l'indiquer: Guillaume, Sol et Léonard apparaissent comme les ouvreurs d'une nouvelle manière de vivre, humainement envisageable, loin d'une planète Terre qui serait devenue invivable. La manière mystérieuse dont le déroulement se déroule, avec une sélection d'élus choisis au hasard, le confirme: ce voyage lointain touche au sacré. Et Violette de Rechkova, ordonnatrice du voyage, flatte chez les trois spationautes cette sensation d'être des élus.

Cette sensation d'élection va inciter les trois voyageurs de l'espace à mener l'expérience jusqu'au bout, coûte que coûte, malgré les contretemps et impondérables. Pour faire joli, il y a ces balles de tennis qu'on s'échange sur une plate-forme extérieure, en tenue d'astronaute, et qui deviennent des étoiles filantes. Plus problématique, il y a la machine à brioches qui s'emballe, bouffant les ressources alimentaires du vaisseau dans lequel Guillaume, Sol et Léonard sont confinés. L'auteur excelle à présenter ces péripéties à la fois dramatiques et poétiques, finalement parfaitement explicables par la science la plus triviale, d'une manière surréaliste. Quant au vaisseau spatial, "Le Bombyx", il recèle à l'envi des pièces et recoins méconnus,  semblant sans cesse renouvelés, dans une espèce de tentative d'infini à la Jorge Luis Borges. Mais il y aura plus grave aussi, par exemple un passager clandestin... 

Faisant voler en éclats la trinité de voyageurs partis dans l'espace, le passager clandestin surnuméraire, par son destin, ne manquera pas d'évoquer Wolff, le traître scientifique sacrifié de "On a marché sur la Lune" d'Hergé. C'est qu'au fil des pages, les amateurs du genre de la science-fiction ne manquent pas de repérer des références aux classiques du genre. Un seul exemple: la conjonction d'un personnage nommé Leia et d'un système informatique appelé PERE, ainsi qu'un duel d'escrime rappelant les sabres-laser, ne manque pas d'évoquer "La guerre des étoiles". Et puis il y a les références populaires, faites d'apologues créés avec habileté par l'auteur pour l'occasion, pour dire par exemple qui doit se sacrifier dès lors qu'un voyageur est de trop à bord: l'exercice oblige chacun des personnages à se mettre à nu afin d'éviter une mort imposée par des raisons économiques. Et à raconter des histoires, encore et encore. Mais à quel prix la mission va-t-elle se poursuivre, alors?

Il est à noter que les voyageurs de l'espace conservent le contact avec les êtres chers sur Terre, ce qui donne lieu à des lettres d'amour mais aussi à des révélations: astucieusement, ce qui se passe là-haut a des effets sur ce qui se déroule ici-bas. L'auteur fait évoluer adroitement les sentiments, permettant aux terriens aussi, et surtout aux terriennes, filles ou amoureuses des voyageurs, d'y voir plus clair dans leurs impressions et sentiments. Il est curieux de constater que les contacts se déroulent d'une façon presque ancienne, à l'aide d'un système qui rappelle le bon vieux fax, surprenant à l'ère du numérique. A moins que cet archaïsme, encore une fois, ne concoure à donner à "Après Saturne" sa couleur particulière.

Décalé, grave ou ludique à l'occasion, en effet, le deuxième roman de Bastien Roubaty se distingue par des ambiances très personnelles, volontiers sereines même lorsqu'il faut trancher: alors qu'on aurait pu s'attendre à de tels paroxysmes, on n'est jamais dans la confrontation colérique dans "Après Saturne". Ainsi persiste le calme d'un voyage interstellaire d'essai, à la fois humain et doucement psychologique, entre des personnages qui, par chance, paraissent capables de s'entendre. Mais s'ils quittent un monde qui n'est guère hospitalier, est-ce que la vie dans le monde confiné d'un vaisseau spatial est vraiment plus agréable que ça?

Bastien Roubaty, Après Saturne, Fribourg, Presses Littéraires de Fribourg, 2019.


Photo de l'auteur: Diane Deschenaux.


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