lundi 10 décembre 2018

Quand Higgins mène l'enquête chez les intouchables de Bruxelles

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Christian Jacq – Quand l'inspecteur Higgins mène l'enquête, ça va vite! L'écrivain Christian Jacq les relaie au rythme soutenu de quatre romans par an. "Brexit oblige" a paru l'an passé, et le titre conserve aujourd'hui encore une actualité certaine. Theresa May en sait quelque chose... mais ce n'est pas d'elle qu'il s'agit dans ce roman policier, qui met plutôt en scène une poignée de fonctionnaires bruxellois discrets mais influents, pour ne pas dire intouchables.


Tout commence par le meurtre de Walt Selfridge, haut fonctionnaire opposé au Brexit pour tout un tas de raisons plus ou moins avouables. Dès lors, c'est l'inspecteur retraité Higgins que l'on fait intervenir: on a voulu mettre le meurtre sur le dos de la sœur de Selfridge, mais ça ne colle pas. L'homme qui convoque Higgins vaut son pesant de cacahuètes: l'auteur excelle à le peindre en gris, allant jusqu'à l'appeler Smith, un nom banal, et à l'affubler d'un teint et de costumes de la même couleur. S'il se fait remarquer, c'est surtout à cause de ses allergies et aversions alimentaires, qui font contraste avec le penchant sympathique de Higgins pour la bonne chère: en début de roman, l'auteur dessine ainsi une scène de repas... haute en couleur.

Dès lors, commence la tournée des témoins et suspects, qui occupe une grande partie du roman. L'auteur s'amuse, manifestement: il construit tous ces personnages de façon crédible bien que caricaturale, jonglant avec les stéréotypes et clichés. On découvre ainsi une Ecossaise férue de tir à l'arbalète, une Kényane anglophobe qui paie en billets de vingt euros, un mirliflore français aux dents longues, un Grec épicurien et sympathique et sa fille qui joue les Cristina Cordula pour les huiles lourdes des institutions européennes. Cela, sans oublier l'Allemande sans-frontiériste et multikulti en diable, ni tel Autrichien apparemment trop impassible pour être honnête. Qui a tué, et pourquoi? Les soupçons se baladent, et l'auteur s'interroge, à mesure d'un roman qui raconte toujours un peu la même histoire, avec cependant des points de vue sans cesse changeants, parfois convergents, parfois divergents. Ces témoignages suggèrent clairement à quel point le monde de la haute fonction publique européenne est un panier de crabes.

L'inspecteur Higgins se distingue par quelques traits intéressants, qui suffisent à en faire un personnage récurrent. Il y a d'abord sa capacité à amener à dialoguer les témoins les plus à craindre: invariablement, ils deviennent doux comme des agneaux. De ce point de vue, son acolyte lors de cette enquête, le commissaire Klauwaerts, apparaît d'une pusillanimité suspecte qui aurait mérité d'être davantage exploitée, au-delà du jeu amusant, sans cesse varié, de la description de ses réactions: à un certain moment, il est permis de se demander s'il ne joue pas les défaitistes à dessein. Il y a aussi chez Higgins une capacité de déduction hors pair, qui semble laisser sur le carreau Hercule Poirot et Sherlock Holmes réunis. Cela, quitte à ce que l'auteur passe un peu trop rapidement sur le pourquoi du comment du crime au moment d'une explication finale qui n'est pas sans rappeler Agatha Christie, avec en prime une sympathique leçon de mythologie revisitée. D'ailleurs, les moustaches de Higgins ne manquent pas de rappeler celles d'Hercule Poirot. Enfin, côté bouffe, Higgins assume un côté bon vivant et raffiné qu'on trouverait plus facilement en France que du côté de la prude Albion.

Oui, l'intrigue policière apparaît assez sommaire. Pour l'auteur, elle sert de prétexte à balader son lecteur à travers Bruxelles, ses monuments, sa vie et ses enjeux. Il sera question du Manneken Pis bien sûr, et l'on va manger des moules-frites plus souvent qu'à son tour, arrosées d'une bonne bière au besoin – ce qui n'exclut pas des breuvages plus raffinés: tel que représenté par l'auteur, le haut fonctionnaire européen ne se refuse rien, ni champagne, ni bourgogne blanc. On en salive même! L'auteur montre aussi les quartiers où se concentrent les institutions européennes, le Berlaymont, etc. Et il mentionne aussi l'Africa Museum, objet de débats liés au passé colonial de la Belgique et au travail de mémoire qu'il peut imposer: le fantôme de Léopold II hante "Brexit oblige".

Et tout ça va vite: les interrogatoires semblent tenir sur une seule et folle journée, et ils sont nombreux. Ils se poursuivent à un rythme haletant que souligne la brièveté des chapitres de "Brexit oblige", volontiers conclus par des cliffhangers qui incitent à tourner les pages. On peut dire que ça même un peu trop vite, que l'aimable et divertissante intrigue aurait pu être plus fouillée et tortueuse, plus riche encore en retournements de situation. Mais "Brexit oblige" propose, et c'est son mérite spécifique, une visite riche et informée de Bruxelles, de ses institutions et des gens qui les animent, sur fond de Brexit et de rognes flamboyantes.

Christian Jacq, Brexit oblige, Paris, XO Editions, 2017.

Le site de l'Inspecteur Higgins, celui de Christian Jacq, celui de XO Editions.

2 commentaires:

  1. Tout semble aller très vite dans ce roman.

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    1. Très très vite, en effet! C'est à la fois captivant, du coup, mais aussi un peu sommaire quand on y réfléchit. Mais c'est efficace!

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