Jean-Claude Zumwald – Mener l'enquête quand on n'est pas policier, voilà un défi! Victor Aubois le relève roman après roman, sous la plume de l'écrivain Jean-Claude Zumwald, qui assume avec talent les contraintes d'un tel statut. Son personnage, il le maîtrise: épicier gastronomique de son état, Victor Aubois est un gars curieux, proche de l'âge de la retraite, qui aime éclairer les mystères dont il est le témoin, et lutiner les quadragénaires bien en chair en dépit d'un tropisme chrétien chrétien. "Les deux squelettes" est la troisième enquête informelle de ce personnage récurrent. Informelle? Oui, car sa valeur est toute relative, distincte qu'elle est de tout travail policier.
Au volant de sa voyante Citroën DS, Victor Aubois mène donc l'enquête à sa manière, avec les outils dont il dispose: une certaine capacité à faire parler les gens lorsqu'il le faut, en particulier, et des contacts dans les institutions policières. Sa curiosité le mène à développer d'astucieux stratagèmes pour connaître la vérité. Et ce n'est pas moindre des forces de Jean-Claude Zumwald que d'avoir créé un personnage d'enquêteur qui n'est ni policier, ni journaliste, ni homme de loi: juste un épicier.
Dans "Les deux squelettes", tout commence par la découverte de deux squelettes, justement, reposant en paix dans les sous-sols d'une demeure du canton de Neuchâtel. Un adulte et un enfant, pour être précis. Comment sont-ils arrivés là? Tout le roman va s'attacher à répondre à cette question. L'intrigue est construite à la manière d'un polar, bien sûr; mais il s'agit surtout de la mise au jour d'un secret jalousement gardé par une équipe d'enfants placés. Un secret devenu trop lourd pour eux-mêmes. Cela donne à l'élucidation finale des airs de soulagement, dans une ambiance qui rappelle Agatha Christie.
Voyons ce qu'il en est: il paraît que dans les années 1963, une mère et son enfant se sont noyés dans la Sarine, en plein Fribourg. C'est ce que rapportent trois témoins, mais on n'a jamais retrouvé les corps. En ce temps-là aussi, il y a eu un casse, rapportant à un personnage une bonne vingtaine de kilos d'or. Une fortune et une aubaine! L'auteur excelle dès lors à rattacher les fils entre ces histoires qui, apparemment, n'ont rien à voir entre elles.
Précisément, "Les deux squelettes" trouve un trait d'union: celui des enfants placés. Un thème d'actualité, difficile aujourd'hui encore à regarder en face pour cette Suisse qui se dit irréprochable. "Les deux squelettes" s'inscrit à ce titre dans un faisceau de livres où l'on trouve aussi le recueil de poésies "Enfance volée" de Danielle Risse. L'écrivain Jean-Claude Zumwald l'aborde à la manière d'un romancier, documentée, sans pesanteur cependant: les voyeurs, ceux qui recherchent des descriptions précises et nauséeuses de ce qu'un pensionnat a pu offrir de terrible à ceux qu'il a abrités peuvent passer leur chemin. Reste que deux ou trois exemples bien placés suffisent à tout dire de la dureté terrible des conditions de vie dans ces lieux – en l'espèce au foyer du Sonambourg, qui pourrait être la Guglera, du côté du Lac Noir, à Planfayon. Dures, injustes souvent, ces conditions de vie parviennent cependant à créer des liens...
... des liens entre des personnages atypiques et attachants, que l'auteur rend même très originaux et par là même sympathiques. Il y a là entre autres Lucie, l'humanitaire alcoolique et avide de sexe, Hans l'alcoolique (aussi!), Ulysse le croque-mort et surtout Rose, personnage flamboyant, prompt à monter des dramaturgies autour de sa vie et à ériger des défenses que la damassine ne suffit pas à abattre. Disent-ils vrai? L'enquêteur Victor Aubois sait les faire parler, et le chapitre intitulé "Epilogue" s'avère essentiel à la compréhension de tout ce qui s'est passé entre l'immédiat après-guerre et l'année 1993. Mais l'auteur, conscient à l'instar de son enquêteur des zones d'ombres laissées par la confession des personnages, pose ces questions dans les chapitres qui, et c'est une astuce de construction qu'il faut relever, suivent l'épilogue. Et il éclaire tout cela de façon humaine, loin de toute considération étroitement policière.
On pourrait dire ainsi que "Les deux squelettes", ancré dans le vingtième siècle d'une Suisse théoriquement au-dessus de tout soupçon, est un polar assez soft, à basse intensité. Une basse intensité que l'auteur assume: plutôt que des viscères soudain dégoulinants et des cadavres en pagaille, l'auteur préfère mettre en scène le destin de personnages détruits par la dureté constante de la vie. Reste qu'il ne tient pas tout à fait ses promesses: alors qu'il avoue que ses romans recèlent deux, un ou zéro cadavre, voilà qu'on a dans "Les deux squelettes" au moins trois morts suspectes – qui auraient pu toutes être accidentelles. Auraient pu...! C'est de ce mystère que naît tout l'intérêt du tranquille polar "Les deux squelettes". Cela, tout autant que la description précise d'un terroir qui va de La Ferrière, au fin fond du Jura bernois, à Fribourg et à Planfayon, au cœur de la Singine. Ce terroir, on le retrouve dans le langage adopté par l'écrivain, qui assume ses mots et ses tours de langage typiquement suisse romands.
Jean-Claude Zumwald, Les deux squelettes, Sainte-Croix, Mon Village, 2015.
Le site de Jean-Claude Zumwald, celui des éditions Mon Village.
Egalement cité: Danielle Risse, Enfance volée, Vevey, L'Aire, 2013.
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