Florence Balvay – On dit que c'est vite fait de lire du théâtre, et pourtant... Paru chez BSN Press, le texte de "Mimosa et le pêcheur de chagrins" est certes une lecture rapide, segmentée qui plus est en quarante-cinq séquences. Mais si ces dernières sont courtes, ce n'est pas sans raison: l'auteure, Florence Balvay, instille ainsi un rythme rapide à son œuvre de dramaturge, qui s'adresse à un lecteur jeune, à partir de 6 ans. Et ça résonne, longuement.
Théâtre jeunesse? Théâtre intéressant, surtout! Voyons quel en est le cadre: tout en didascalies, le prologue suggère en douceur que le public a un rôle à jouer, même un verre à la main. Ce rôle pensé comme un rôle actif, on le retrouve dans le texte de ce poème théâtral, lorsque le narrateur, ou la narratrice, interpelle son lectorat ou son auditoire. Tout est en place pour flouter la limite traditionnelle entre la scène et le public, et le locuteur n'hésite guère à prendre l'auditoire à partie.
C'est que "Mimosa et le pêcheur de chagrins" est écrit sous la forme d'un monologue dit par une femme. Cela dit, l'oeuvre laisse toutes les portes ouvertes: il est possible de confier la narration à un homme, voire à une poignée de comédiens. Un exercice peu évident, disons-le: il faudra quand même répartir les répliques, parfois floues, entre les acteurs pressentis. Cela, même s'il y a plusieurs personnages autour de Mimosa et du pêcheur de chagrins.
En particulier, il paraît même que le rôle du pêcheur peut être tenu par un homme comme par une femme, moyennant quelques "rares" accords grammaticaux. Eh bien soit! Mais en certains éléments, on sent que le personnage du pêcheur est avant tout masculin. Ne serait-ce que du fait qu'on l'ait nommé "pêcheur" et non "pêcheuse".
Peu à peu, cependant, avec des phrases concises qui sont certes celles d'une autre personne, c'est bien Mimosa qui occupe le devant de la scène. L'auteure se montre astucieuse pour illustrer quelque chose de détestable: le harcèlement scolaire. Sa mécanique? Invariablement, elle raconte ce que Mimosa a vécu à l'école: une boîte à pique-nique cassée, des vêtements déchirés, des crayons chipés. Le lecteur peut penser au début que ce ne sont que querelles de cour d'école; mais au fil des pages, un crescendo s'installe, bien amené, sur la base d'une série nombreuse de séquences construites de la même manière: on accumule, c'est donc du sérieux.
Et ce sérieux n'est pas considéré par le personnel de l'école: évoquées en filigrane faute de mieux au fil des pages, les manières de contourner le problème de la part des enseignants sont classiques. Elles résonneront clairement aux oreilles de ceux qui ont vécu cela. C'est ainsi que, pour toutes celles et tous ceux qui se sont pris une beigne (ou se sont fait voler un beignet – superbe stance dans la séquence 8!) sans raison dans la cour de récré, se développe une empathie envers Mimosa. On n'en périt pas, comme le doudou perdu de Mimosa mis en scène: ses amis le raccommoderont, mais il en restera des traces. De boue, ou de pire encore.
Et qui est le pêcheur? Narrateur de l'histoire emblématique de Mimosa, c'est aussi le récepteur de tout un tas d'objets, plus ou moins recyclables. Et l'on aimera certes ce qu'il en dit dans les toutes premières séquences de cette pièce de théâtre: c'est un brocanteur, décidément! Mais il faut aussi considérer tous ces objets comme autant d'ancrages vers des chagrins individuels, pris en charge depuis la nuit des temps par le personnage. Un personnage qui invite d'ailleurs les nouveaux humains à lui confier leurs chagrins sur un banc ouvert à tous.
Pour finir enfin, il est permis aussi de citer Léonard, le frère autiste de Mimosa, ainsi que ses meilleurs amis, finalement peu actifs face à l'adversité et à la loi du préau. Ne serait-ce que pour dire que si Mimosa encaisse, elle le fait au nom de celles et ceux qui ont encaissé avant elle: son parcours peut être érigé en symbole. Et c'est un pêcheur de chagrins qui recueille son récit: c'est un personnage qui sait raconter une histoire et qui a du vécu. On le croit donc, surtout lorsqu'il invite tout un chacun à s'asseoir sur son banc. Ce banc où l'on entend la mer et où l'on voudrait se sentir bien.
Florence Balvay, Mimosa et le pêcher de chagrins, Lausanne, BSN Press/Giuseppe Merrone, 2018.
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