vendredi 23 février 2018

Il était une fois un ranch, quelque part en Limousin...

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Serge Vacher – C'est un petit pays, le Limousin. Peut-être même qu'il a perdu son nom lors du remaniement des régions impulsé par François Hollande il y a quelques années. Peu importe: c'est un pays assez grand pour qu'un instituteur, Serge Vacher (1957-2013), puisse y concevoir une intrigue policière. Pas facile d'être un héritier: tel est le propos de son roman "Le Ranch Of Léon". Et le ranch, objet de l'héritage – en somme une grosse ferme – se situe à Dompierre-les-Eglises. Sympa... sauf qu'il y a un cadavre dans le placard. Pour de vrai. Celui de M'sieu le Maire, même, pour tout dire, excusez du peu.


L'intrigue du roman "Le Ranch Of Léon" apparaît ramassée, relatée sur moins de deux cents pages. Elle n'en est pas moins riche, en ce sens qu'elle donne à voir la province profonde, celle qu'on ne découvre pas par hasard. En particulier, que ce soit à Limoges ou au village, l'auteur excelle à décrire sans lourdeur, de façon ciblée, les ambiances de bistrots, ces lieux où l'on parle de politique, endroits de rituel et de conviction où, parce que l'on est viscéralement anticlérical, il est hors de question que pénètre un journal du groupe de presse Hersant, d'essence catholique. Surtout, ce sont des lieux où les amitiés, voire les amours se nouent.

Et John-Léon Combes s'ennuie... jusqu'à l'héritage. John-Léon? Voilà un prénom bien trouvé, qui illustre à merveille un personnage qui assume le grand écart entre son ascendance provinciale profonde, confinée, et un goût immodéré pour l'Amérique des grands espaces, qui se traduit, entre autres, par sa moto: il suffit de fermer les yeux pour voir en lui un jeune Johnny Hallyday, baroudeur qui n'a pas perdu le goût du bon vin d'ici. L'Amérique des ranches, celle des grands espaces et du rock'n'roll, fait rêver; elle rayonne aussi dans les surnoms à l'américaine de certains noms de personnages, voire dans le nom du bar "Quipsèque" (keepsake). Elle fait aussi contraste avec la vie qu'on mène dans des localités qui périclitent mais ou il faut bien vivre.

Comment vivre avec un cadavre dans le placard? Telle est la question de ce roman. Avec son voisin, John-Léon, le communiste devenu propriétaire (c'est gênant, d'ailleurs: "la propriété, c'est le vol", rappelle un personnage au coin du bar...) mène l'enquête pour savoir ce qui a mené le corps du maire dans sa cave, entre deux quilles sympathiques. Parallèlement, l'écrivain dessine le portrait d'un élevage porcin pas très réglo, mais parfaitement légal, quitte à forcer un peu. Et le portrait s'avère précis, documenté: filière d'abattage, cochons drogués (auxquels il donne même la parole, ce qui donne deux pages d'anthologie...), entreprise de consulting véreuse, architecte spécialisé, tout y passe. On le conçoit volontiers, les porcs seront libres à la fin du roman... mais ça sent quand même un peu le lisier, et l'auteur l'assume. Tout en suggérant, bien sûr, que les pires porcs ne sont pas forcément ceux qui ont une queue en tire-bouchon.

Techniquement, l'enquête a un peu de jeu, il faut bien l'admettre; cette liberté, ce flou, est amenée par des policiers qui se la jouent copains et aiment autant s'intégrer à la vie de village que faire leur métier. On est loin de la police scientifique et du professionnalisme froid! Le choix des boissons consommées par les agents s'avère révélateur, celui qui reste sobre paraît le plus sérieux du binôme. Mais quand l'amour s'en mêle, peu importe d'où vient l'ivresse...

Sous-tendu par un tropisme écologiste assumé, quitte à paraître un brin manichéen (après tout, "Le Ranch of Léon" oppose un industriel pollueur sans scrupules et un héritier qui ne demande qu'à vivre à la ferme comme un néo-rural avide d'air pur qu'il est devenu), porté par une langue qui sait se faire canaille quand il faut, "Le Ranch of Léon" est un roman rapide qui assume son côté terroir, sans pour autant insister: Dompierre pourrait se situer partout ailleurs en France, avec son bistrot aux rituels bien huilés qui représente le dernier lieu où l'on fait société dans un village qui se meurt. Annoncé par un titre qui mêle anglais et français, "Le Ranch of Léon" suggère une ouverture sur l'Amérique, mais c'est surtout sur la France rurale que l'auteur promène son regard. Une France qui dépérit, que les industriels lorgnent pour fabriquer des produits du terroir factices, et que des néo-ruraux, avec leurs défauts et leurs qualités, s'entendent à faire revivre.

Serge Vacher, Le Ranch of Léon, Paris, Après La Lune, 2011.

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