vendredi 25 août 2017

Konrad Laghos, un regard nuancé sur la fin de l'enfance


C'est à travers les yeux d'un enfant de dix ans, André, que le lecteur est invité à aborder "Petits hommes", premier roman de l'écrivain Konrad Laghos, installé à Zurich. "Petits hommes", c'est le petit monde d'une enfance vécue entre les parents, les amis, la famille au sens large, les interdits et les possibles. Et c'est aussi les derniers feux de l'enfance.

L'auteur reste sobre dans son écriture, allant jusqu'à prendre une distance pudique avec son sujet en l'écrivant à la troisième personne. Cette pudeur, il la met au service de la description d'une vie d'enfant dont l'un des éléments structurants est l'alternance entre les moments du jeu, où l'on est acteur comme dans les films - mais aussi maître de son destin - et ceux, nuancés et infiniment moins maîtrisés, de la vraie vie: les adultes ont leurs impératifs, les enseignants leurs exigences. Autant de contingences avec lesquelles il faut apprendre à composer: quitter l'enfance, c'est aussi, peu à peu, renoncer à une certaine toute-puissance. Et apprendre à mentir pour grandir à sa manière...

Certaines pages de "Petits hommes" pourraient emprunter à Zep, créateur de Titeuf, le titre de "la loi du préau": l'auteur décrit avec acuité la vie des cours de récréation, les jeux entre enfants, l'amitié bien sûr, mais aussi les coups vaches, les moqueries auxquelles il faut faire face, la gestion des rapporteurs comme Bastien. Par exemple, et c'est un exemple important dans ce roman, lorsque les autres élèves de la cour de récréation découvrent que le père d'André est un très vieil homme.

Très vieil homme, oui. Son décès est un jalon important de l'intrigue de l'ouvrage, en ce sens qu'elle introduit un rituel de passage de l'enfance à l'adolescence. Evidemment, le lecteur est guidé: impossible de ne pas penser qu'André a tué le père, symboliquement ou réellement, puisque sa dernière interaction avec son père aura été conflictuelle. Cela dit, on peut même voir un double rituel dans le trépas du père: il y a celui de la société, matérialisé par une messe, et celui d'André, plus personnelle: qu'il est beau, le geste consistant, pour ce garçon, à offrir à son père la sépulture que les croque-morts, trop chers, n'ont pas voulu lui vendre! Mais on comprend bien qu'en magnifiant une tombe, André est conscient qu'il doit faire le deuil de davantage que son propre père.

"Petits hommes" apparaît comme un titre antinomique, qui reflète bien le point de bascule entre le moment où un garçon reste encore un petit enfant, alors qu'autre chose survient, qui pourrait être l'état d'homme. Il est évident aussi, de ce point de vue, de constater que si André veut se marier avec sa camarade de classe Léonore, cela paraît bien abstrait et romanesque; mais c'est bien la remplaçante qui vient surveiller les heures d'étude des élèves, avec ses cheveux roux et ses gros seins, qui fait s'envoler des papillons dans le ventre d'André et l'empêche de ce concentrer par sa seule présence (la remplaçante joue un tout petit rôle, d'ailleurs: il lui suffit d'être là pour avoir un impact), suggérant qu'il y a peut-être autre chose que les amours lisses des contes pour enfants.

"Petits hommes", c'est donc l'histoire sensible d'André, à la fois petit mec et homme qui deviendra grand, cow-boy de comédie et presque jeune homme qui observe la comédie des adultes. Tout est ambivalence et délicatesse dans ce roman en demi-teintes, où tout est prêt à basculer et où résonnent par ailleurs, comme un leitmotiv mélancolique, les sonorités de "Ständchen" de Franz Schubert. Le piano sera-t-il pour André, jeune musicien doué, la continuité entre la vie d'enfant et la vie d'adulte? La réponse est dans "Petits hommes"...

Konrad Laghos, Petits hommes, Paris, Intervalles, 2017.

2 commentaires:

  1. Une réponse qu'il me tarde de lire, alors.

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  2. Ah oui, essaie.
    J'ajoute que j'apprécie en général ce que les éditions Intervalles font: ce sont de beaux textes, des traductions rares, c'est vraiment bien.

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