mercredi 2 août 2017

Bernard Secrétan, écrivain et fondateur d'une légende familiale

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C'est sous Louis XV que tout commence, et à la Restauration que tout s'achève... ou pas: le scientifique et écrivain suisse romand Bernard Secrétan (1935-2013) signe avec "Le grain de beauté" une intéressante saga familiale qui puise ses racines dans la destinée du général marquis de Balivière (1738-1821), avant de glisser, passant du "je" au "il", vers la destinée de la famille Secrétan, vaudoise, dont il met en avant le génie particulier. Autant qu'un roman historique solidement documenté, "Le grain de beauté" fait ainsi figure de pierre fondatrice d'une légende familiale: celle de l'écrivain lui-même.


Balivière? C'est un ancrage dans l'histoire de l'Ancien régime que l'auteur met en place en ouverture du roman, donnant la parole à son personnage principal au moment des funérailles de son père. Nicolas le Cornu de Balivière est un homme d'armes, dont la noblesse est d'épée. Il est dès lors permis de trouver peu lyrique l'écriture des toutes premières pages du "Grain de beauté": l'efficacité prime le lyrisme. Cela, même si l'auteur réserve de beaux portraits, en particulier du chevalier d'Eon, un homme, un vrai (même s'il entretient le doute), montré comme un personnage cordial et reconnaissant.

Reste que le lyrisme sait se faire jour au fil des pages, entre autres en mettant en avant, mine de rien, des thèmes chers aux romantiques, par exemple l'idée de l'homme tout petit face à une nature immense et puissante que l'auteur décrit volontiers. Cette idée du romantisme se prolonge dans la description de l'émergence du tourisme en Suisse, qui donne à l'écrivain l'occasion d'écrire quelques pages qui, si elles ont un goût de déjà-vu (le ranz des vaches entendu dans les alpages, l'évocation de l'histoire trop fameuse de ce chant qui faisait déserter les soldats suisses...), ne manquent pourtant pas de pittoresque. C'est là faire oeuvre de bon historien!

Bon historien? C'est peu de le dire: l'écrivain s'est renseigné pour relater son histoire, et il ne manque pas d'indiquer ses sources, parfois inédites, anciennes ou surprenantes, en notes de bas de page. Force est de relever que plus d'une péripétie relatée, par exemple celle des vaches à la bataille de Valmy, est pour le moins étonnante! Trépidante est également la narration d'un procès sans fin entre la famille Balivière et quelques Vaudois gourmands d'argent et d'arguties. Gageons qu'un tel récit, croustillant, riche en personnages d'essence romanesque, saura éveiller des impressions de vécu chez certains lecteurs: si les tribunaux à grand spectacle n'ont plus cours aujourd'hui en Suisse, les combines d'avocats, elles, restent de mise aujourd'hui, afin que le plus habile gagne.

Nicolas le Cornu de Balivière est de ces nobles qui ont fui la Révolution française; l'écrivain se plie de bonne grâce, sans dramaturgie excessive, à l'évocation du massacre des gardes suisses à l'occasion de la prise des Tuileries, le 10 août 1792. Il en résulte un récit qui finit en Suisse, où se sont réfugiés de nombreux nobles français, mais lorgne aussi du côté de l'Angleterre; de Londres, le lecteur goûtera à cette occasion une étrange affaire de délit d'initié. En outre, l'homme a été initié à la franc-maçonnerie, mais il n'en sera guère question dans ce livre. Du vrai, du faux? Le prière d'insérer met le lecteur au défi de le démêler.

Mais il y a une force supplémentaire dans ce roman, et qui est l'évocation récurrente des bonnes choses de la vie: quelles qu'en soient les vicissitudes, l'existence réserve toujours quelques bons filets de perche arrosés d'un vin gouleyant. L'auteur ne manque jamais de rappeler les épisodes où l'on trinque, mariages ou funérailles, ententes entre parties, etc.; il ne manque jamais d'indiquer ce qui a été dégusté, quitte - et c'est agréable - à faire rêver le lecteur: quoi de mieux que de déguster un bon petit plat léger arrosé d'un bon vin vaudois, avec le lac Léman pour panorama? Il en reste l'impression d'un pays romand qui est aussi un pays de cocagne.

Rêver, ai-je dit... le rêve, enfin, est un vecteur important du "Grain de beauté". Plus d'une fois, l'auteur utilise le procédé du rêve prémonitoire; en fin de récit, dans un parallélisme troublant, il allie enfin sa propre existence à celle des Secrétan, liés à la famille des Balivière, pour indiquer un projet de rencontre familiale qui touche à la généalogie, afin de cerner l'identité génétique et culturelle des Secrétan. Deux devises fort belles et aimables en émergent, qu'elles soient le fruit du songe ou d'études: les Secrétan ont "le goût pour la farce, le champagne et la fête", et ils souhaitent que leurs descendants soient "aussi beaux, modestes et intelligents qu'ils les ont imaginés". Joie de l'instant, beauté de l'avenir: que demander de plus? Quant à l'aspect génétique, il est évoqué par ce fameux grain de beauté qui donne son titre au livre, et qui se positionne invariablement au deuxième orteil du pied gauche des parents: d'après la légende, c'est de la reine Cléopâtre que la famille le tient...

Bernard Secrétan, Le grain de beauté, Sainte-Croix, Mon Village, 2010.

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