lundi 27 mars 2017

Entre banalité et romanesque, un été d'adolescent à Paris avec Rose Tremain

L_Ete_de_Valentina
Lu par Céline.

Le site de l'auteur.

"Je pense que je vais commencer par le moment où je me suis aperçu que ma mère était devenue une belle femme." Moment clé de la vie d'un garçon de treize ans, Lewis. Ce moment où l'on n'est pas tout à fait sorti de l'enfance, mais où l'on se rend compte que dans la vie, on ne peut pas passer son temps à jouer aux soldats en plastique - qui finissent d'ailleurs par se casser, à l'instar d'Elroy... Pour tout dire, "L'été de Valentina", c'est aussi l'été de Lewis, jeune Anglais parti pour Paris avec sa mère afin de travailler sur la traduction d'un roman avec une écrivaine à succès, l'opulente, trop belle et fantasque Valentina.

Voilà un roman épatant! Sa construction s'avère admirable, menant en parallèle deux intrigues, l'une rationnelle et platement pragmatique, l'autre romanesque et polardeuse. Cela donne à tout le début de ce livre une ambiance faussement tranquille, où tout semble s'expliquer rationnellement, alors que Lewis est absolument persuadé qu'il y anguille sous roche à chaque coin de rue, à chaque anomalie. Saluer la jeune épouse du couvreur rencontré par hasard en ville, est-ce si difficile pour sa mère? A moins qu'elle ne soit l'amante de ce couvreur? Et quels sont ces mystérieux dossiers que recèle l'ordinateur de Valentina? Celui-ci n'a pas que des romans dans le ventre. Et quand Valentina disparaît, quel drame: son tempérament fantasque l'a-t-elle fait partir à la campagne pour quelques jours, ou l'a-t-on enlevée? Et si la réponse se trouvait dans "Le Grand Meaulnes"?

Saisi entre l'enfance et l'adolescence, le personnage de Lewis est captivant. On va le trouver enfantin par certaines de ses réactions, et toutefois capable de saisir des vérités surprenantes sur la vie des grandes personnes. L'auteure renvoie de lui l'image d'un garçon surdoué (il joue très bien aux échecs),  lecteur sagace (il lit "Crime et châtiment" en français dans le texte), amateur de balades et finalement discret, effacé derrière Sergueï, le chien qu'il promène inlassablement à travers Paris. L'effet de sérieux est renforcé encore par l'écriture de "L'été de Valentina": rédigé à la première personne, donnant la parole à Lewis lui-même, il est écrit dans un style dépourvu d'effet grossier. Résultat: autant par les actes que par l'écriture, le lecteur a l'impression que Lewis est un ado très mûr pour son âge.

Autour de Lewis, gravitent des personnages non moins intéressants, que l'auteur fait interagir avec finesse: cette mère trop belle, que tout le monde regarde, et qui pourtant exerce la profession de traductrice, l'une des plus discrètes qui soient. Va-t-elle se faire tuer comme sa prédécesseure auprès de Valentina? Celle-ci lâche cela comme une boutade, parfaitement en phase avec sa personnalité exubérante, excessive, encore soulignée par une richesse venue de sa pratique romanesque. Et l'on se demande ce qu'elle a voulu dire par là... Le trouble s'installe. Le lecteur sera également intrigué par l'énigmatique Moinel, qu'il retrouve régulièrement sur les pas de Lewis. Quant au couvreur, Didier Loiseau, il se dit existentialiste. A partir de quelques explications fort schématiques et hors d'âge, il donne quelques pistes de réflexion sur la vie à Lewis.

Moinel, Loiseau... un oiseau tatoué, quelques vols planés: il y aurait pas mal à dire sur les oiseaux qui  parcourent "L'été de Valentina". Les vols planés sont tragiques, et dessinent un parallélisme réussi entre le décès du père du couvreur et la mort de Valentina, également tombés d'un toit, telles des figures modernes d'Icare ayant un instant présumé de leurs forces. Quant à l'oiseau tatoué, à l'existentialisme et à la figure de Loiseau, elle suggère une quête de liberté, loin de la pesanteur terrestre. Ce que symbolise le tatouage précité, et certains côtés évanescents de sa personnalité.

Et pour le lecteur, ça plane? Certes: sobre, l'écriture sait cependant transcrire une intrigue faussement calme, donnant envie d'en savoir plus sur ce qu'il y a dans les eaux dormantes de ce logement luxueux près du Parc Monceau et de ses chambres de bonne. Et puis, rien que pour voir grandir Lewis durant tout un été, écartelé entre un Paris ensoleillé qui lui fait envie, promesse d'une vie épanouie et lieu d'une certaine éducation sentimentale, et l'existence étriquée de l'Angleterre où le projet ultime de son père consiste à construire du mieux qu'il peut un cabanon de jardin, il vaut la peine d'ouvrir "L'été de Valentina".

Rose Tremain, L'été de Valentina, Paris, De Fallois, 1997. Traduit de l'anglais par Jean Bourdier.

2 commentaires:

  1. Une lecture qui me tente, pour cet été sans doute, voire un peu avant.

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    1. Comme ça se passe en été, ce serait indiqué!

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