lundi 14 juillet 2025

Charles Gancel, six fois des non-dits en cascade

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Charles Gancel – C'est pour moi une surprise totale que ce recueil de nouvelles signé Charles Gancel: "L'inaccessible". Six textes de l'auteur s'y retrouvent, bien développés. Il serait cependant faux de penser, sur la simple vision de la couverture, qu'il n'y sera question que de sensualité habillée de flou. Outre les relations entre humains, l'auteur fait aussi revenir le thème de la création, en particulier musicale, et son aspect potentiellement transgressif.

Il y a bien sûr des histoires d'amour dans "L'inaccessible", ou des destins de couples contrariés, et surtout des non-dits à la pelle. On pense à "L'inaccessible", nouvelle éponyme, qui évoque ce sentiment qu'on peut ressentir, jeune homme, que telle contemporaine est absolument inaccessible et que face aux sentiments ressentis, le râteau est assuré. Terrible nouvelle? Certes: c'est pourtant en milieu de vie que l'amoureux transi mesure l'écart entre les sentiments qu'il a éprouvés et ceux vécus naguère par l'autre. De la part de l'adolescent amoureux devenu adulte, valait-il vraiment la peine d'en avoir le cœur net?

De l'amour, on en trouve aussi dans la très citadine nouvelle "Un jour à Manhattan", évocateur d'une artiste cosmopolite riche et prolixe, Mayia, et d'un écrivain sec logés ensemble dans un loft aux volumes généreux à New York. Il y a de la couleur ici, portée par les toiles encore méconnues de Mayia. Outre le dessin du lien plus ou moins amoureux qui les relie, l'auteur trace aussi une ville de New York dangereuse où l'on risque de mourir à tous les coins de rue.

Cette anarchie urbaine fait écho à celle qu'on peut imaginer dans la Moscou que l'écrivain décrit dans "Un rat": c'est une nouvelle qu'on imagine située dans les années Eltsine, temps d'un capitalisme anarchique que son successeur, Vladimir Poutine, a su mettre au pas. "Un rat" captive selon les ficelles classiques d'un film d'action: un tueur à gages chargé de descendre un oligarque se retrouve distrait par un rat au moment fatal. Quant au rôle de sa comparse, son rôle véritable constitue le dernier twist de cette nouvelle surprenante peuplée d'opportunistes et de personnages en rupture de ban.

L'auteur réussit même à dessiner l'histoire d'un crime parfait, qui se déroule dans des circonstances particulières (et originales, pour le coup), réunies quelque part en France profonde. "La retenue" interroge ce que peut ressentir une femme poussée à bout par un mari "pas facile", également après qu'elle soit passée à l'acte. Le mari est certes un salaud, et l'auteur ne l'épargne guère. Mais son absence est-elle vraiment agréable sur le long terme, même après le passage de flics pas très curieux? 

Quant à "Le foulard", c'est la nouvelle la plus marquée par le motif de la création musicale et de ses affres, que les artistes connaissent: il s'agit d'écrire des chansons sur tel ou tel texte, mais voilà: par temps de canicule, logé à la campagne, le compositeur ne sait qu'écrire une comptine apparemment géniale, mais qui n'aura rien à voir avec ce qui est demandé – et surtout pas avec les textes "sociétaux" de l'interprète et parolière. Enfin, il y a quelques réserves à relever au sujet de "Une partie de chasse", au début assez confus: l'auteur décrit insuffisamment le monde dystopique qu'il entend mettre en scène, et laisse, pour le coup, le lecteur sur le côté de la route: qui sont ces "primitifs urbains", abrégés "P. U." tant recherchés?

Peu à peu, le lecteur découvre des textes qui, chacun à sa manière, prennent le temps de se construire dans des contextes variés où plus d'un personnage a quelque chose à cacher à ses contemporains. Voilà une découverte intéressante.

Charles Gancel, L'inaccessible, Paris, Buchet-Chastel, 2017.

Le site des éditions Buchet-Chastel.

Egalement lu par IrethJérôme, Jess Swann, La république des livres, Lili Matoline.

2 commentaires:

  1. ça a l'air original et ton engouement m'intrigue !

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    1. Bonjour Violette! Oui, des nouvelles, ça change! Celles-ci sont généralement très bien écrites, les deux premières étaient particulièrement bonnes mais la troisième, celle en forme de dystopie, peine à embarquer le lectorat. A essayer, pour changer?

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