Justine Mintsa – Signé de l'écrivaine Justine Mintsa, "Histoire d'Awu" est le roman d'une famille au Gabon, dans l'ethnie Fang. Il est porté par une écriture à la fois fluide et poétique, riche en images bien trouvées qui arrivent naturellement. L'une est même récurrente: c'est celle de la couture, qui est l'art que pratique Awu, avec grand talent. C'est du reste sur un gros plan de son activité créatrice que s'ouvre le roman.
Ainsi la famille est-elle soudée, littéralement cousue, jusqu'à ses parties les plus éloignées, ce que démontrent des parents lointains venant quémander de l'argent auprès du mari d'Awu, Obame, lorsqu'il part pour la capitale afin de faire valoir ses droits à une pension de retraite d'enseignant. Surtout, cette famille est vue comme un arbre dont les branches sont solidaires entre elles et liées au tronc. En plus, elle est marquée par des liens complexes.
Voici quelques éléments de l'intrigue: celle-ci se noue lorsqu'Ada, élève auprès de l'école locale, se retrouve enceinte à douze ans – et, en conséquence, renvoyée. Qui s'en charge? Obame relève, lors d'une scène de palabre en famille fort bien narrée, que l'école est un facteur d'émancipation nécessaire dans la société où évoluent les personnages du roman. Il faudrait dès lors la scolariser ailleurs – à l'école "des Blancs", réputée laïque.
Un autre élément décisif? Ce sera Obame cherchant le moyen de toucher sa pension. Une quête qui va lui prendre des mois et plusieurs allers et retours entre son village et la capitale. Comment vivre ainsi? Le soutien matériel assuré par Awu apparaît comme un secret, un tabou dans un monde où c'est à l'homme d'assurer cette part de l'existence, pour sa famille stricte ou (parfois très) élargie.
Ce n'est là qu'un aspect de la peinture de la condition humaine, et spécialement féminine au Gabon, telle qu'elle est décrite par l'auteure, qui exploite judicieusement son intrigue pour illustrer ce que la vie peut avoir de pesant dans une société traditionnelle. La condition féminine est également illustrée par la scène de l'accouchement d'Ada, peinte avec vivacité pour dire un vécu terrible, pétri d'une violence surprenante, révoltante. Une violence qui se prolonge lorsque l'auteure décrit la manière dont Ada apprend à être mère seule, objet d'opprobre dans une société où l'honneur compte.
L'expression "école des Blancs" est révélatrice, enfin, d'une vision ambivalente qui hante l'ouvrage. L'idée ne paraît pas forcément raciale: le "Blanc", c'est plutôt ce qui est considéré comme occidentalisé, par exemple la grande ville ou l'administration, voire justement l'école laïque, qui ne moque en principe pas les croyances ancestrales. Une manière d'opposition entre "nous", c'est-à-dire un monde largement traditionnel, et "eux", c'est-à-dire un contexte moderne qui paraît tantôt avantageux, tantôt déroutant, apparaît cependant.
Mais il n'y a pas de manichéisme là-dedans: l'auteure illustre parfaitement les zones d'ombre, de part et d'autre, dans un récit centré sur un groupe de personnages vivant de manière ancestrale, où, et c'est la clé de ce roman, la femme finit considérée comme un objet, passant d'un homme à l'autre à l'heure du veuvage parce qu'il faut qu'un homme s'en occupe. Condition féminine, pesanteurs d'une société qui paraît lointaine au lecteur occidental: voici quelques-uns des angles d'attaque, travaillés dans un souci constant de richesse d'écriture, de l'"Histoire d'Awu".
Justine Mintsa, Histoire d'Awu, Paris, Gallimard/Continents noirs, 2000.
Lu par Assassan, Bibliolingus, Honorine B. Andeme Abessolo, Jean-Charles, Lecturissime, Moglug.
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