Laurent Obertone – Se glisser dans la tête d'Anders Behring Breivik, auteur du massacre d'Utøya, en Norvège, le 22 juillet 2011. Le faire avec une glaçante minutie. Tel a été le projet de l'auteur français Laurent Obertone pour son récit "Utøya". Et le lecteur, d'emblée de jeu, se trouve embarqué dans une histoire qui lui est racontée à la première personne: c'est bien Breivik qui parle, et on y croit. Fasciné. Révolté. Jusqu'à la nausée.
Oui, le travail de recréation du personnage paraît minutieux à celui qui se plonge dans "Utøya", et l'approche du meurtrier paraît réussie. Elle se nourrit d'un travail documentaire qu'on devine considérable – ce que suggère également Stéphane Bourgoin dans sa préface. Le lecteur fait la connaissance d'un Breivik incroyablement sûr de son bon droit, se posant en chevalier d'une lutte contre le marxisme et le multiculturalisme, héros d'une Europe qu'il pense menacée par le multiculturalisme.
La première partie montre Breivik en action et commentant, dans sa tête, ce qu'il fait – casser du marxiste, comme dans un jeu vidéo "shoot'em up". Et si l'idée du jeu vidéo est ici montrée, l'auteur fera revenir ce motif au fil des pages: il colle à Breivik, qui aime effectivement s'adonner à ce genre de divertissement.
Si la vision du monde de Breivik s'esquisse dans cette première partie, elle s'avère prépondérante dans toute une partie médiane pénible à force de se contenter, sous couvert d'introspection confinant au délire, d'agiter les pensées du terroriste. Leur fond, on le connaît: suprémacisme blanc, européen et scandinave, rejet de l'islam et des musulmans, thèses déclinistes mais aussi virilistes. Et sans doute l'auteur s'est-il inspiré du long manifeste que Breivik a tenté de diffuser. Mais était-il bien nécessaire pour l'écrivain de s'étendre autant, au risque de passer pour complaisant?
On revient à des moments plus directement évocateurs lorsque l'auteur retrace la genèse du double attentat (outre le massacre d'Utøya, il y eut aussi une explosion meurtrière dans un bâtiment ministériel d'Oslo). L'auteur dessine un personnage d'une rare détermination, minutieux, se faisant fort de tout prévoir, y compris d'éventuels scénarios de repli.
Tout cela, pour arriver à ses fins: au fil des pages, Breivik est présenté comme un monstre que rien ne saurait arrêter, qui paraît se radicaliser tout seul et se sent investi d'une mission. En intercalaire, des extraits de rapports psychiatriques le dépeignent en "Violent True Believer", capable d'aller jusqu'à tuer pour accomplir ce qu'il croit vrai.
Quelques images animales traversent l'ouvrage, en particulier celle du reptile et celle du rat-taupe nu, connu entre autres pour ne pas connaître la souffrance, ce qui permet le développement de communautés eusociales dont certains membres peuvent se sacrifier pour l'ensemble. Elles soulignent la part bestiale du Breivik décrit par l'auteur.
Du côté du lecteur, les sentiments de révolte, de dégoût et de fascination se mêlent en un moteur étrange qui pousse à aller au bout. Parfois presque ironique ou outrancier, le style est bien celui d'un écrivain français – qui sait cependant, dans "Utøya", cerner son personnage d'une manière impeccable et créer dans l'esprit du lecteur un clash, né du dégoût suscité par ce Breivik narcissique qui se goûte tant.
Laurent Obertone, Utøya, Paris, Ring, 2013.
Le site des éditions Ring.
Lu par Anaïs Serial Lectrice, Argoul, Francis Richard, Gayange, Juan Asensio, Lord Arsenik, Thierry Desaules.
C'est un livre vers lequel je ne me serais pas forcément tournée de prime abord mais tu me donnes envie de le lire.
RépondreSupprimerBonjour Gaëtane, merci pour ton commentaire! :-)
SupprimerUn livre difficilement soutenable par moments, aussi en raison des idées qui y sont exprimées de façon brute; mais l'exercice consistant à se glisser dans la tête du bonhomme est réussi. C'est donc à essayer, en effet!