Daniel Fohr – Le lecteur de sexe masculin est-il un modèle obsolète? Avec "L'émouvante et singulière histoire du dernier des lecteurs", l'écrivain français offre à son lectorat un roman d'anticipation original qui pousse à l'extrême une tendance déjà à l'œuvre actuellement: la disparition des hommes qui lisent. "9 lecteurs sur 10 sont des lectrices", dit la quatrième de couverture. Qui sera le dernier? Pour le romancier, c'est son narrateur.
"L'émouvante et singulière histoire du dernier des lecteurs" s'apparente à une confession sur le statut du dernier lecteur, volontiers introspective, relatée par un homme anonyme, littéralement sans propriétés particulières: c'est le lecteur par excellence, qui n'est guère que cela. L'ouvrage commence par quelques constats aux allures documentaires avant de relater, en courts chapitres au ton faussement désabusé, porteur d'un humour qui est comme qui dirait "la politesse du désespoir", truffé d'allusions littéraires que le lecteur détectera avec gourmandise, ce que c'est que d'être le tout dernier lecteur.
Il y a donc le regard sur le lecteur, vu comme un être bizarre et peut-être pas tout à fait viril, ce qui oblige le narrateur à se déguiser en femme lorsqu'il veut lire dans un lieu exposé au public. C'est que dans "L'émouvante et singulière histoire du dernier des lecteurs", le monde du livre est entièrement aux mains des femmes: il n'y a plus que des lectrices, des autrices, des éditrices et autres actrices en -trices.
S'ensuivent plusieurs questionnements, en particulier sur la manière de ramener aux livres ces hommes friands de séries et d'autres supports narratifs plus aisés, et de toutes façons essentiellement copains avec leur barbecue – un motif récurrent, pour le coup. On ne peut pas dire que le narrateur n'aura pas tout essayé: prêter des livres, inciter les collègues à la lecture. Les excuses sont celles qu'on connaît: image du lecteur homme vu comme une bête bizarre, manque de temps ou d'intérêt. Il y aura quelques illusions, certes, de quoi faire sourire le lecteur.
L'idée même d'écrire un livre "par un homme, pour les hommes" va manquer sa cible... elle pose la question du genre des livres: y a-t-il une littérature masculine et une littérature féminine? Comme objet de réflexion, l'auteur balance les romans d'aventure façon Bob Morane, suggérant même qu'Henri Vernes hante les pages de son livre. Il suggère aussi que peu de femmes apprécient Ernest Hemingway, alors que les hommes ne sont jamais vraiment précipités sur Colette. Cela étant, le lectorat du narrateur sera... féminin. Et curieux, bien entendu.
Allant jusqu'à effleurer la question du transgendérisme, utilisant occasionnellement l'écriture dite inclusive, l'auteur suggère que la disparition des lecteurs hommes, donc de leur regard sur les écrits en particulier littéraires, est une forte perte pour l'humanité. Le dernier lecteur est-il dès lors une pièce de musée? En achevant son livre d'une manière qui rappelle quelque peu celle du roman "Le Musée de l'Homme" de David Abiker, l'écrivain élargit le débat en (se) demandant si l'homme, représentant mâle du genre humain, n'est pas lui-même obsolète.
Daniel Fohr, L'émouvante et singulière histoire du dernier des lecteurs, Paris, Slatkine & Cie, 2021.
Le site de Daniel Fohr, celui des éditions Slatkine & Cie.
Lu par Francis Richard, Lire la nuit ou pas.
Les thèmes me plaisent bien et j'aime beaucoup l'idée de ce livre ! Merci pour la découverte.
RépondreSupprimerOui! C'est un livre sympa, drôle par moments. Peut-être aussi une manière d'illustrer "Comment faire lire les hommes de votre vie" de Vincent Monadé.
SupprimerBon dimanche à toi!
Finalement il y a encore des hommes qui lisent ;)
RépondreSupprimerPas nombreux, mais il y en a en effet! Et il y en a même qui bloguent...
SupprimerLE lecteur, ce mohican...
RépondreSupprimerMais quand on lit des résultats d'enquête où sont classés comme "lecteurs" ceux qui lisent UN LIVRE PAR MOIS, (bien entendu, c'est toujours mieux que d'en lire... un PAR AN!), on a envie de se taper la tête contre les murs.
En effet, où sont les lecteurs? Sans parler des lecteurs hommes qui bloguent: là, on est dans le très rare. Alors que le partage d'impressions après une lecture est fort sympathique!
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