Xochitl Borel – "L'alphabet des anges" est le premier roman de l'écrivaine Xochitl Borel. Paru en Suisse, il s'agit d'un ouvrage qui a été remarqué à sa sortie en 2014. A raison.
Si l'on prend l'histoire nue, toutefois, elle n'a rien d'affriolant. Voici le lecteur en présence d'une jeune femme, Soledad, enceinte malgré elle, qui mène sa grossesse à son terme malgré un avortement. Il en reste une cicatrice: Aneth, sa fille, est borgne. Cela, dans un contexte qu'on pourrait être tenté de qualifier de très "suisse", taillé au cordeau, mais qui est, plus largement, celui d'une société conventionnelle, avide d'ordre et de paix après la Seconde guerre mondiale.
Cela aurait pu sombrer dans le pathos, mais non. C'est là que l'art de la poésie intervient, et l'écrivaine y excelle, pour habiller le récit de beauté sans en omettre les parts d'ombre. Il y a dans "L'alphabet des anges" une profusion d'adjectifs de couleur, soulignant une approche visuelle. Il y a bien sûr le rouge horrible de l'avortement – un avortement relaté d'ailleurs avec pudeur, le mot même n'étant guère dit. Il y a aussi la couleur des robes, l'attrait pour les couleurs vives et l'impression qu'elles laissent: celle de la mer, celle de la végétation à laquelle le prénom d'Aneth fait écho, comme celui du chien Basilic. Seuls le gris et le blanc, ces non-couleurs de la convention et de l'"adéquation", sont rejetés.
"Adéquat", voilà bel et bien l'adjectif honni de ce roman, celui que l'auteure fait claquer comme un repoussoir. À travers ce mot, c'est tout le refus des conventions qui s'exprime. Un refus qui est dans la droite ligne de la philosophie de vie de Soledad: attirée par le gris des attentes de la société, elle a joué le jeu en gagnant diplômes et distinction. Mais n'y a-t-il pas mieux à faire de sa vie? Aneth, et l'amour maternel, y pourvoiront. Avec un certain Emile, puisque, faisant foin des conventions encore, les familles se recomposent dans "L'alphabet des anges".
Emile? Il sera surnommé "Aime-Il" par Aneth. L'auteure recrée avec une finesse émouvante la capacité de poésie de l'enfance, si difficile à retrouver lorsqu'on a des yeux d'adulte, et qui nait d'un décalage du rapport au monde. Si elle choisit de jouer de la trompette, ainsi, c'est pour pouvoir parler éléphant – même si ce n'est pas "adéquat" dans son milieu. L'expression poétique naît aussi de lapsus révélateurs, ainsi que de mots proches, tels que "Scrabble" par rapport à "crabe". Quant à la cécité croissante d'Aneth, elle poussera cette dernière à percevoir puis à dire le monde par d'autres biais.
"L'alphabet des anges" naît de la vie d'une enfant qu'une faiseuses d'anges, du reste seule nommée par une civilité ("Madame Margot") au contraire des autres personnages qui ont un prénom, comme si elle était en quelque manière étrangère à l'intrigue, aura épargnée. C'est aussi le roman d'êtres libres et qui assument, à commencer par la femme Soledad et sa fille Aneth. Sur des thèmes d'apparence féminine mais qui résonnent pour l'humanité entière, c'est aussi un roman fort dont l'amour est le moteur, un amour qui surmontera les obstacles et aura raison des conventions, dans un milieu qui en est pourtant pétri.
Xochitl Borel, L'alphabet des anges, Vevey, L'Aire. 2014. Préface de Blaise Hofmann.
Le site des éditions de l'Aire.
Lu par Amandine Glévarec, Francis Richard, Lena DL Cruz, Lydie et ses livres, Martine Moratal.
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