Diane Ducret – Et si le dictateur était une dictatrice? C'est le scénario que la romancière française Diane Ducret, auteure d'ouvrages historiques sur les femmes de dictateurs, conçoit dans son roman "La Dictatrice".
Sous la plume de Diane Ducret, l'Europe se trouve à la croisée des chemins: l'Union européenne s'est sabordée, signant sa chute dans un contexte marqué par la misère. Une femme se lève, elle s'appelle Aurore Henri, et balance un caillou dans la figure d'un de ces chefs d'état qui ont préféré le souverainiste à l'idée d'une Europe unie. Ce caillou, putsch manqué mais originel, va devenir un leitmotiv de "La Dictatrice".
Dès lors, la romancière développe, au siècle près, un scénario parfaitement calqué sur l'aventure hitlérienne, de son ascension à sa chute. Le lecteur le comprend assez vite, par exemple en identifiant les initiales d'Aurore Henri et celles d'Adolf Hitler. Il relèvera avec gourmandise ("ah, je sais!") qu'Aurore et Adolf ont la même date d'anniversaire et qu'ils tous deux écrit leur programme politique en prison.
Et s'il fallait citer une seule différence entre Henri et Hitler, c'est qu'alors que le Hitler que nous connaissons s'est fait tout seul (et il suffit de relire "Mein Kampf" pour s'en convaincre), Aurore Henri apparaît, du moins au début, comme la marionnette de quelques puissances financières. Des puissances que le récit oublie trop vite, à l'instar du personnage d'Helen.
Du coup, le reproche le plus vigoureux qu'on peut faire à "La Dictatrice" est de mettre en scène un personnage certes de genre féminin, mais qui agit en calque d'un homme nommé Adolf. Ainsi, "La Dictatrice" ne répond pas suffisamment à la question fondamentale: y a-t-il une manière spécifiquement féminine d'être dictateur?
Alors certes, l'auteure suggère que oui, il y a des spécificités. Le programme politique d'Aurore Henri se fonde en particulier sur un égalitarisme pro-féminin qui, entre autres, recycle l'idée d'une présomption de culpabilité pour les hommes accusés de viol – une question d'actualité aujourd'hui déjà. Plus profondément, et parce qu'un peu de religion ne fait pas de mal, Aurore Henri favorise un néo-paganisme féministe construit sur les représentations ancestrales du sexe féminin, considéré comme sacré. Féministe? Justement, on peut se poser la question, dès lors que la dictatrice a un projet pour la femme, à la fois aimable et contraignant. Comme, citons-les au bol, le catholicisme, l'islam et même un certain féminisme actuel. Quitte à passer l'idée essentielle d'émancipation par-dessus bord.
L'auteure passe une grande partie du roman à évoquer les effets supposés bons de l'"eunomisme", tentative d'équilibre idéal à vivre pour les humains, mais qui n'est rien d'autre qu'un totalitarisme qui va même dicter ce qu'il faut faire dans les alcôves. Le lecteur aura, en lisant ces pages, la même impression de malaise que dans "Les sept couleurs" de Robert Brasillach emmenant l'un de ses personnages dans des camps modèles allemands destinés à la jeunesse nazie et supposés sympathiques puisque c'est pour la bonne cause.
Mais avec Diane Ducret, le lecteur aura très tôt l'impression que tout ça va se casser la gueule. Il est dès lors regrettable que, alors que l'ascension d'Aurore Henri est soigneusement dessinée, ce "cassage de gueule" n'occupe guère que cinquante pages du roman, finalement vite écrites, un peu de ci, un peu de ça: elles auraient mérité d'être plus travaillées, plus détaillées, en particulier en donnant à voir les populations déçues. Cela, en personnalisant par exemple les antagonismes exacerbés qui sont en présence.
C'est qu'au-delà de quelques éléments précis, en particulier le personnage de la portugaise Elena, l'auteure ne donne guère la parole aux gens ordinaires – en particulier, elle omet de dessiner une résistance qu'on aurait pourtant attendue: l'utopie eunomiste est trop belle pour être vraie, comme toutes les utopies d'ailleurs. On se souviendra, pour faire court, de "La grande parade" de Jean-François Revel, qui posait déjà cette question de la faiblesse des utopies forcément contraignantes, d'autant plus qu'elles prétendent proposer le meilleur projet à l'humain.
Alors oui: nous sommes entre 2033 et 2045, soit un siècle exactement après les temps du nazisme. Les humains n'ont-ils donc rien appris? Et la femme est-elle l'avenir de l'homme, même en matière de dictature pour le bien de tous? Aurore Henri apparaît aux yeux du lecteur comme une figure viriliste comme une autre, récupérant certains chevaux de bataille du féminisme sans chercher à gommer fondamentalement les stéréotypes de genre. Faut-il dès lors conclure qu'une dictatrice est un homme comme un autre? C'est ce que suggère "La Dictatrice" – un roman qui ne parvient pas tout à fait à décrire ce que pourrait être une dictature spécifiquement féminine. De ce point de vue, dans un registre certes plus expérimental, "Les sorcières de la république" de Chloé Delaume y parvient bien mieux. Même si le constat final est le même: c'est celui d'un échec.
Diane Ducret, La Dictatrice, Paris, Flammarion, 2020.
Un constat final plutôt encourageant : tout échoue.
RépondreSupprimerLa démocratie est précieuse, en effet, et il faut toujours s'en souvenir.
RépondreSupprimerMais le constat d'échec de Chloé Delaume, fondé sur l'hypothèse d'un régime politique original, est beaucoup plus intéressant...