mardi 8 octobre 2019

"Giulia", un égoïsme?

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Claire Genoux – Une seule voix: celle de l'amant de Giulia, morte. C'est ce que le lecteur entend tout au long des cent pages du roman "Giulia", dernière publication de Claire Genoux. Quelques ingrédients classiques donnent à l'écrivaine de quoi caractériser un homme qui parle, qui souffre et qui a ses défauts. Cela, dans le contexte d'une montagne froide et hostile, qui peut même tuer.


Une voix, ai-je dit, porteuse d'une musique unique. Celle d'un homme, un alpiniste, et l'auteure excelle à la restituer, rude dans sa forme: les négations sont gommées, on s'autorise les phrases sans verbe, et celles-ci sont courtes et simples pour paraître directes. Les mots, quant à eux, lorgnent volontiers dans le registre populaire ou familier, sans jamais y basculer tout à fait. C'est que le thème est grave: le narrateur a perdu sa compagne, morte de froid et de maladie après une conversation dont il se sent coupable.

Par cette voix, la romancière excelle à se mettre dans la peau d'un homme familier de la montagne, prêt à tout pour la dominer puisqu'il se prépare à un concours majeur et recherche sans cesse de nouvelles voies pour atteindre les sommets. Cela, avec un bémol: dans le discours du narrateur, l'annonce de la grossesse de Giulia, fruit de ses œuvres, apparaît comme un caillou dans la chaussure. Accepter cette nouvelle vie ou courir les records? Le dilemme pourrait être cornélien, le narrateur le liquide trop vite en faveur de victoires à venir. Elles seront amères...

Sur une centaine de pages, l'écrivaine renonce à tout ancrage local. On ne décèlera guère d'helvétisme dans son écriture, et les lieux pourraient être de partout: il y a des montagnes qu'on surnomme "dents", de toutes les couleurs qu'on a vues sur les cartes de géographie. Il y aussi une Vallée, jamais nommée, à moins que mettre une majuscule ne suffise à désigner. Il en résulte une impression d'universalité du propos, reposant sur un flou qui fait penser au conte. Un conte confiné à un village qu'on sent hostile, entouré d'une montagne qui tue. Tout au plus peut-on croire qu'on est entre francophonie et italophonie, en Valais peut-être. Mais où?

Et puis il y a la culpabilité du narrateur... Celle-ci apparaît peu à peu, l'auteure lâchant les informations comme à regret, comme si l'aveu lui coûtait. Cette façon d'agencer le propos intrigue le lecteur, le pousse à lire plus loin, et souligne la difficulté de l'aveu: on apprend assez tard que Giulia est enceinte. Et la réaction du narrateur face à ce qui devrait être un bonheur est glaçante comme la neige: "Débrouille-toi" (p. 46). Ce "Débrouille-toi", dont il n'a pas mesuré toutes les conséquences sur le moment, le narrateur devra vivre avec, et avec toutes ses conséquences, si terribles ou excessives qu'elles soient.

Enfin, on relève la relation intime, pour ne pas dire exclusive, qu'entretient le narrateur avec la montagne. Cela suggère que si passionné qu'ait été son amour pour Giulia, la seule amante du narrateur, la compagne ultime, reste la montagne. En ce qui concerne cet aspect précis, "Giulia" rappelle parfois "La montagne sourde" de Gilbert Pingeon. Dans un registre bien plus terrible, certes: dans "Giulia", Giulia n'est pas seule à mourir sur les monts hostiles. La faute à un seul égoïsme?

Claire Genoux, Giulia, Lausanne, BSN Press, 2019.

Le site des éditions BSN Press.

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