mercredi 27 juin 2018

Mehrlicht, ou l'art de faire toute la lumière sur une énigme policière

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Nicolas Lebel – Le capitaine Mehrlicht reprend du service! Après son premier roman "L'Heure des fous", Nicolas Lebel relance son personnage fétiche dans une nouvelle enquête – toujours publiée chez Marabout. "Le jour des morts" offre à ses lecteurs une intrigue serrée autour d'un serial killer pour le moins atypique (un? une?) qui va donner du fil à retordre à l'équipe d'enquêteurs lancée à ses trousses.


Mehrlicht? On se souvient de ce policier bourru, veuf et père d'un ado, Parisien invétéré. Dans "Le jour des morts", l'auteur accentue, par le le lexique et par les descriptions, son côté batracien: l'auteur insiste sur ses yeux, et le fait "coasser" à plus d'une reprise. Est-ce un crapaud dans son équipe? Au lecteur d'en juger. 

Autour de lui, l'auteur met en scène toute une équipe, que le lecteur retrouve avec plaisir: il y a Dossantos, l'obsédé du Code pénal, et Latour, agente aux cheveux roux et aux intuitions pas toujours entendues, qui peut faire penser à Imogène, version Dominique Lavanant. Autant de personnages bien caractérisés, jusqu'à la caricature: en particulier, Dossantos ne manque jamais une occasion de citer son droit, quitte à ce que cela paraisse didactique. Enfin, il y a un stagiaire dans l'équipe. Très beau portrait, joliment travaillé, du "fils de" qui se la pète et ose harceler sa supérieure: le lecteur adore le détester, et c'est certainement l'une des belles réussites de ce roman qui n'en manque pas. Il s'appelle Lagnac, d'ailleurs, le stagiaire. "La niaque"? Pas vraiment un aptonyme, pour le coup, mais enfin, le débat est ouvert. Place aux férus d'onomastique...

L'auteur reconduit dans "Le jour des morts" une astuce qui a caractérisé son premier roman: les sonneries du téléphone portable de Mehrlicht sont thématiques. Cette fois, celles-ci introduisent Jacques Brel comme un leitmotiv dans le roman. L'auteur a l'habileté de ne pas citer les chansons les plus célèbres du barde du Plat Pays, mais de mettre en lumière des pièces moins connues. Cela ne manquera pas de parler aux aficionados les plus férus du chanteur belge.

La temporalité de ce roman est maîtrisée au plus près: l'affaire est pliée en quelques jours d'un mois de novembre indéfini, entre Halloween et Toussaint, ou un peu plus, et les saints du calendrier sont aussi là. Enfin, le lecteur ne peut que sourire face aux proverbes de circonstance, pleins d'humour noir, qui sont les titres des chapitres et parodient ceux qu'on trouve dans les almanachs.

L'auteur conduit par ailleurs ses lecteurs hors de Paris, ce qui les fait prendre l'air et représente une épreuve quasi insurmontable pour certains policiers – l'auteur suggère ainsi un certain antagonisme entre Paris, vue comme la grande ville bien moderne et hautaine, et la province, en l'espèce le Limousin, vue comme une contrée où il y a plus de vaches que d'humains, et où ceux qui restent comptent leurs morts. Si les personnages du "Jour des morts" ont cette vision de la France profonde, toutefois, l'histoire va se charger de nuancer leurs préjugés: ils trouveront, dans un village imaginaire de la Creuse nommé Mèlas-la-Noire (les amateurs d'étymologies grecques trouveront ce toponyme joliment trouvé), de quoi bien manger et bien boire, et même des moments d'amour. Cela, même si l'information ne leur tombe pas forcément toute cuite dans le bec. Qu'on me permette un aparté, d'ailleurs: Nicolas Lebel est-il allé dédicacer ce roman en terres limousines, par exemple à la fête du livre "Lire à Limoges"?

Côté ambiances aussi, l'auteur s'y entend bien pour recréer la pression des médias sur une enquête qui piétine, ainsi que les tensions dont est victime un supérieur hiérarchique tiraillé entre l'obligation de résultats, ses convictions de droite et son engagement de protéger le stagiaire. Il y arrivera! Tensions il y a aussi entre les personnages de l'équipe de terrain, forcément, tant les caractères sont divers et bien campés. Et les affaires de cul du stagiaire, entrant en interférences malvenues avec son travail, pourraient lui jouer quelques tours aussi... ce dont, sûr de lui, il ne semble pas tout à fait conscient.

"Le jour des morts" est un beau roman de facture classique, précis et bien calé, porté par une équipe de policiers qui mise sur la double carte de la diversité et de la complémentarité. La clé du mystère se trouve dans les tourments de la Seconde guerre mondiale, entre collaboration et résistance, et on s'y attend un peu dès que tombent les premiers maigres indices; mais l'auteur sait rendre le lecteur suffisamment curieux pour qu'il aille au bout de l'histoire et veuille en savoir les détails et le fin mot. Cela, grâce à une équipe de police des plus attachantes, avec ses atouts et ses humaines limites. C'est que quand on s'appelle Mehrlicht ("plus de lumière" en allemand), on a forcément envie de faire toute la lumière sur ce qui s'est passé. Bel exemple d'aptonyme, pour le coup!

Nicolas Lebel, Le jour des morts, Paris, Marabout, 2015.


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