dimanche 24 juin 2018

Hypnose et thriller, de la terre à l'éther

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Catherine Roumanoff – Un pur esprit peut-il mener l'enquête? En un plan très rapproché, "Juste après mon dernier souffle" invite ses lecteurs à se mettre dans la peau d'une jeune morte, dans l'ambiance d'une expérience vécue au seuil de la mort. Dès ses premières pages, l'écrivaine Catherine Roumanoff, sœur de l'humoriste bien connue Anne Roumanoff, installe ainsi ce qui sera le fil conducteur de son roman. Celui-ci est en effet une quête des vérités parallèles mises au jour par l'hypnose.


Le lecteur suit donc Alice alias Alysson Flaherty, jeune Française qui trouve sa voie en étudiant aux Etats-Unis. Il est aisé de créer le contraste entre les études d'agronomie qu'Alice vise, éminemment concrètes et réalistes, et son envie d'aller voir autre chose, entraînée par des collègues intéressés par des choses ésotériques. D'Alice à Alysson, le changement de prénom fait figure d'américanisation; mais de manière plus profonde, c'est aussi un changement de vie, un passage du réalisme chthonien vers le monde ouranien des âmes.

"Juste après mon dernier souffle" se construit en plusieurs séquences et en plusieurs sonorités. On entendra certes la voix d'Alice alias Alysson, qu'elle écrive à ses parents, qu'elle se confie ou qu'elle se présente comme un pur esprit, soucieux de trouver sa voix après un homicide. Mais il y a aussi des pages de journal intime, écrites avec vigueur, et les témoignages de personnages tiers, tels le fameux Andy Russel, qui trouve dans l'hypnose façon Alysson Flaherty une manière de sortir de son accoutumance à l'alcool. Essentiels ou anecdotiques, donc, tous les personnages parlent, et tous ont une voix bien tranchée, recréée avec justesse. Polyphonie il y a, donc.

Mais revenons à Alysson, et surtout à ses amours avec son mentor, Peter Flaherty. L'écrivaine dessine avec finesse cette relation peu évidente, faite de non-dits qui vont finir par briser un couple pourtant fondé sur un intérêt conjoint pour l'hypnose. A travers ces deux personnages, la romancière réussit à dessiner deux approches contradictoires des arts ésotériques: faut-il faire de l'hypnose un spectacle grand public, lucratif, ou vaut-il mieux en rester à une approche sagement thérapeutique, à l'abri intimiste d'un cabinet? 

Sources à l'appui, la romancière va plus loin en rappelant que l'hypnose a même intéressé les services secrets américains. Voilà qui donne à ce roman un accent marqué de thriller. Une conversation apparemment anodine dans un TGV au cœur de la France s'avère ainsi fatale. Et, marquée par le secret, la relation entre Peter et Alysson finit par s'étioler. Mais attention: si dans un thriller ordinaire, on peut se demander qui va mourir, dans "Jusqu'à mon dernier souffle", on va plutôt se demande qui va revenir du monde des morts. Cela, d'autant plus que ce livre donne à voir la vie des âmes errantes: celle d'Alysson, bien sûr, mais aussi celles d'autres gens, par exemple tel tricheur de casino à la fallacieuse particule.

Il y a de l'hypnose dans "Juste après mon dernier souffle", et celle-ci est présentée avec réalisme, l'auteure, elle-même hypnothérapeute, connaissant son sujet sur le bout des doigts. Autour de cette manière de voir le monde au-delà de ce que la raison veut bien montrer, il y a aussi des approches telles que la programmation neurolinguistique et l'interprétation des rêves qui trouvent leur place dans ce généreux roman. Globalement, tout est pris au sérieux dans "Juste après mon dernier souffle": à la question d'un Marc Lévy, "Et si c'était vrai?", la réponse est toujours affirmative, même si elle défie la froide raison. Corps ou purs esprits, les personnages mis en scène laissent entrevoir qu'il y a quelque chose d'autre ce que que la raison veut bien donner à percevoir.

Catherine Roumanoff, Juste après mon dernier souffle, Lausanne, Favre, 2018.

Le site de Catherine Roumanoff, celui des éditions Favre.

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