lundi 1 janvier 2018

Un aller simple pour l'inconnu au Brésil

NovaFriburgo
Henrique Bon – La ville brésilienne de Nova Friburgo s'apprête à fêter ses 200 ans: elle a été fondée le 16 mai 1818. Il est donc parfaitement d'actualité de consacrer la première chronique de cette nouvelle année au livre "Un aller simple pour Nova Friburgo", deuxième roman de l'écrivain brésilien Henrique Bon. Cet auteur a des racines suisses et fait partie des descendants des premiers colons de la ville de Nova Friburgo.


Ces colons, ce sont les personnages de cet important roman. Important par sa taille, d'abord: sa version française, fruit d'un travail de traduction colossal et très honorable de Robert Schuwey (si l'on exclut un grand nombre de notes du traducteur, pas toujours indispensables), pèse près de 600 pages. Important par son sujet, aussi: sans doute est-ce l'une des premières fois qu'un écrivain aborde, sur le mode du roman, la destinée de colons suisses au Brésil. Important par le travail historique de l'écrivain en amont, enfin: on peine à imaginer la somme de recherches qu'Henrique Bon a dû effectuer pour reconstruire un roman qui sonne aussi vrai et présente une telle profondeur – tout en assumant le mélange du réel et du fictif: "Par définition, ce livre est un roman, même s'il respecte un équilibre entre fiction et réalité", avertit l'auteur au début de son introduction.

Nécessaire précision historique, oui! Les noms des navires, la grande histoire, la politique internationale, l'économie du café, la geste d'un Brésil qui acquiert son indépendance en des temps troublés, rien n'y manque. Cela offre un arrière-plan solide à un récit qui se concentre cependant sur l'arrivée et l'installation pas toujours évidentes des colons, de la Suisse jusqu'à Nova Friburgo, dans la région de Rio de Janeiro. En écho à la situation du Brésil, l'auteur dessine aussi, de façon méritoire et remarquable, ce qui se passe en Suisse et dans le canton de Fribourg: une famine générée par une année 1816 calamiteuse pour l'agriculture incite les gens à aller chercher fortune ailleurs, quitte à devenir à leur insu la proie d'aigrefins tels que Gachet et Brémond. Et si le Portugal, dont dépend alors encore le Brésil, choisit des Suisses (environ 2000 colons, avant tout Fribourgeois, mais aussi Romands, et de préférence catholiques), ce n'est pas non plus un hasard: craignant un soulèvement des Noirs à la façon de Haïti, le gouvernement choisit de favoriser l'immigration de Blancs.

"Un aller simple pour Nova Friburgo", c'est un titre fort qui rappelle le choix sans retour que font ces colons parfois pleins de rêves ou d'appréhensions, prêts à partir pour l'inconnu et à faire face à des promesses pas toujours tenues – une attitude bien résumée par les expressions des deux personnages représentés sur la couverture du livre par Debuhme. L'auteur a recréé en fin de roman la liste de ces colons, et esquissé la destinée souvent tragique de chacun d'eux; plus d'un trouve par ailleurs sa place dans le roman lui-même. Mais c'est un personnage fictif, le Genevois Henri Cougnard, qui constitue le fil rouge du texte. Une bonne idée: ce personnage de roman cristallise bon nombre d'états d'âme et de caractéristiques des colons, et fait dès lors figure d'exemple. Sa religion (le calvinisme) en fait un personnage à part, en un temps où les catholiques et les protestants ne se mélangeaient qu'à contrecœur. Mais les idées généreuses de Henri Cougnard, héritées des Lumières, résisteront-elles à l'épreuve de la vie sur un continent nouveau, où le modèle esclavagiste est encore la règle?

De manière classique, "Un aller simple pour Nova Friburgo" adopte une narration linéaire, à partir d'une sorte de flash-back qui permet à l'auteur, dès les premières lignes, d'installer le personnage d'Henri Cougnard. Voyage aventureux, maladies, arnaques, conflits, politique: tout y est. Le lecteur d'aujourd'hui découvre au fil des pages que ce roman met les hommes en avant-plan; il aurait peut-être aimé voir émerger des personnages féminins plus forts, mais le réel dont s'inspire l'auteur ne l'a peut-être pas permis. Enfin, "Un aller simple pour Nova Friburgo" n'est pas sans longueurs ni redites: par moments, on aurait apprécié un peu plus de nervosité, de vitesse.

Cela n'enlève rien, ou presque, au plaisir qu'offre la lecture de ce généreux roman historique, qui n'est pas sans rappeler l'actualité des migrants qui, aujourd'hui, affluent vers la vieille Europe pour poursuivre des rêves trop beaux ou fuir une réalité trop dure. En prenant l'initiative d'éditer sa traduction, les éditions Faim de Siècle, basées à Fribourg, donnent un nouveau souffle au lien qui a toujours existé, lâche ou étroit, entre la ville suisse et la colonie brésilienne homonyme de Nova Friburgo – cela, dans les traces de chercheurs comme Martin Nicoulin, Georges Ducotterd ou Robert Loup, dont l'auteur Henrique Bon se réclame expressément.

Henrique Bon, Un aller simple pour Nova Friburgo, Fribourg, Faim de Siècle, 2017. Traduction de Robert Schuwey.

Le site des éditions Faim de Siècle; merci pour l'envoi!

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