Natalia Klioutchareva – Insaisissable Russie! Et s'il fallait relever le défi? C'est ce que se propose Nikita, le personnage principal de "Un train nommé Russie". Paru en français en 2009 dans une traduction de Joëlle Roche-Parfenov, le premier roman de Natalia Klioutchareva explore la Russie dans ce qu'elle a de méconnu et d'unique, au travers notamment de portraits de personnages improbables qui, tous, ont au moins une histoire à raconter, une souffrance ou une invraisemblance à révéler.
Ce roman se construit sur des allers et retours entre le passé et le présent de Nikita, cet homme jeune qui a tendance à s'évanouir comme le prince Mychkine dans "L'Idiot" de Fiodor Dostoïevski. Il semble en effet que les errances auxquelles Nikita s'adonne pour tenter de cerner l'âme russe au début de l'ère Poutine sont une manière de respecter une promesse faite à un amour de jeunesse disparu et magnifié: c'est la fascinante et fantasque Iassia, poétesse sans œuvre (enfin, quoique...) et sexy model dont les cheveux changent sans cesse de couleur. Peut-être est-ce la fille de la couverture?
Situé dans la localité des "Nèfles" (ce qui ouvre la porte aux jeux de mots), le monde qu'explore Nikita, celui de la Russie profonde et rurale qu'on surnomme parfois "gloubinka", porte avec lui son lot de folie. Le lecteur fait ainsi la connaissance d'un pope au sexe incertain, d'une vieille réfugiée de Grozny qui gagne sa vie jour après jour en nettoyant des escaliers. La Russie est en eux, de mille manières, dans son génie propre; ce que Nikita va peu à peu comprendre, c'est qu'elle est en lui aussi.
Par leur caractère improbable, les mille histoires relatées par les nombreux personnages qui s'entrecroisent dans "Un train nommé Russie" captivent et amusent. Iassia y apporte elle-même sa part, même si elle est sortie de la vie de Nikita: le congrès de poésie radicale auquel elle prend part est un délice de satire à l'encontre de ces écrivains qui se prennent au sérieux et picolent à qui mieux mieux. Mais ce n'est pas anecdotique: chapitre après chapitre, récit après récit, tout cela constitue, à la manière d'une mosaïque, un univers fascinant à lire à travers mille degrés, ironie incluse.
La profondeur de la Russie s'exprime aussi, dans "Un train nommé Russie", par les nombreuses références littéraires et artistiques qui émaillent le propos. Structuré en chapitres courts et rythmés, celui-ci ne manque pas d'accrocher le lecteur, une fois passé un début qui, dépeignant un contexte inhabituel, peut désarçonner. Une belle trouvaille, échevelée et qui ne recule devant aucune audace, à redécouvrir.
Natalia Klioutchareva, Un train nommé Russie, Arles, Actes Sud, 2009. Traduit du russe par Joëlle Roche-Parfenov.
Le site des éditions Actes Sud.
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