Alain Delmas – "Xéno", le deuxième roman d'Alain Delmas, oscille entre thriller et politique-fiction. C'est un roman aux paragraphes à la fois denses et percutants qui embarque ses lecteurs dans les méandres d'un pays latino-américain imaginaire qui résonne à plus d'un titre dans l'esprit du lecteur. Et surtout, c'est la description d'un panier de crabes à donner le tournis...
Commençons par planter le décor. L'auteur plonge son lecteur dans une dictature très fermée, peuplée d'indigènes, les Guadaltèques, maintenus en condition inférieure et de personnalités imbues de pouvoir, dirigées par un dictateur hors d'âge mais encore capable de se défendre et obsédé par le contrôle nommé Victor Casanegra. Un journaliste vient y mettre son nez. Tous ces personnages ont des noms à consonance hispanique mêlée d'anglais et d'autres langues, ce qui s'avère un bien chouette métissage.
Pour décrire ce pays imaginaire, l'auteur fait appel aux nombreux imaginaires liés aux régimes despotiques d'hier et d'aujourd'hui. Pour la fermeture, on pense à l'Albanie d'Enver Hoxha ou à la Corée du Nord. Pour la richesse passée, on songe à Nauru, îlot devenu soudain riche grâce à des gisements de phosphate, comme la dictature mise en scène a été riche grâce à la rente pétrolière – dans les deux cas, l'embellie a duré une trentaine d'années. Il y a aussi quelques manteaux noirs en cuir qui rappelleront les sombres tenues du nazisme. Enfin, il y a peut-être aussi quelques souvenirs de l'écrivain, qui a vécu en Amérique du Sud.
Panier de crabes, ai-je dit. Une tel contexte dictatorial est en effet favorable aux manipulations de toutes sortes, et l'auteur joue avec une magnifique constance sur cette corde sensible. Voilà qui est parfait pour donner au lecteur l'impression qu'on ne peut faire confiance à personne! Cela, sur fond de velléités de pouvoir: le vieux dictateur suscite les convoitises, ainsi que des agissements vils pour vivre sur le dos de la Révolution. Les jeux de poker menteur et les trahisons en cascade se succèdent ainsi à un rythme soutenu.
L'auteur aborde aussi une question d'actualité, celle de la santé publique. Cela démarre avec l'idée d'une pandémie, thème des plus familiers ces temps-ci, ce qui permet d'accrocher directement le lecteur. Mais l'épidémie du livre n'a rien à voir avec le Covid-19, ni par ses symptômes (elle ressemble davantage au zona), ni par ses enjeux. Partant d'une situation que tout le monde peut appréhender, l'auteur va plus loin en abordant les coulisses peu reluisantes du trafic d'organes et des xénogreffes (des tissus de porc greffés sur des humains) et en décrivant une science devenue folle.
Ces xénogreffes sont l'une des raisons du titre, "Xéno", par apocope. On pense aussi au mot grec ξένος, qui signifie "l'étranger": il conviendrait bien à Nikos, le journaliste, corps étranger et électron libre (ou pas) venu observer le pays sur mandat d'Olga Mancuso, commissaire à la santé publique. Qui, elle, n'a pas les mains propres... et voudrait travailler avec un savant étranger, ce qui n'a rien d'évident dans un pays aux frontières hermétiques.
Tous dessinés en nuances de gris, faisant jouer leurs parts d'ombre, les personnages intrinsèquement ambigus de "Xéno" s'avèrent complexes, détestables plus souvent qu'à leur tour, donc captivants. Tout au plus peut-on trouver une part de sagesse chez les Guadaltèques; mais eux aussi sont entraînés, qu'ils le veuillent ou non, dans les soubresauts sociaux que décrit le roman. La jeune Clarysse joue avec eux un rôle de leader et de justicière, par amour. Mais, étrangère chez les indigènes, n'est-elle pas elle aussi un agent double?
Alain Delmas, Xéno, Paris, Intervalles, 2021.
Le site des éditions Intervalles.
Egalement lu par Lyvres.
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