Lu par Francis Richard.
Le site de l'éditeur, celui de l'illustrateur.
Voici qui nous sort des sentiers battus: l'éditeur suisse Hélice Hélas a fait paraître, à la fin 2016, un livre en forme de roman graphique. "La vie sauvage", de l'écrivain Tony O'Neill, vient donc de voir le jour, traduit en français, avec les illustrations du Fribourgeois David Brülhart. Joli coup de la part de l'éditeur, qui amène un peu de littérature américaine en terre francophone et fait ainsi preuve d'une belle ouverture d'esprit.
Cela, au-delà de certaines maladresses... Le lecteur goûtera la typographie étudiée, quoique parfois erratique et parsemée de quelques erreurs qui vont, quelquefois, au-delà de la simple coquille. Curieusement hanté de deux ou trois helvétismes ("téléjournal", "ça joue", "meilleur temps"...), le travail de traduction de Dejan Gacond et Frédérique Longrée est méritoire, et recrée une musique canaille, parfaitement en phase avec ce que l'on peut attendre d'un roman héritier de la beat generation.
Il y est question d'un boxeur, brute au grand coeur, qui se retrouve en cavale après avoir tué l'un de ses adversaires. Autant dire que "La vie sauvage" prend la forme d'un road trip à travers quelques lieux interlopes des Etats-Unis. Le propos est volontiers trash, la violence est bien présente. Et en dirigeant ses personnages, Chet et sa compagne Lottie, vers un lieu nommé Nowhere, l'auteur suggère que cette cavale n'a pas de but. De là à dire qu'elle est absurde...
Le thème des superstitions traverse "La vie sauvage". De manière évidente, elle est présente dans l'évocation des rituels vaudous violents qui ouvrent la deuxième partie du roman. L'auteur évoque par ailleurs le caractère superstitieux des habitants de la Louisiane. Et puis, tout ce roman est traversé par l'idée qu'il existe quelque chose de supérieur, un dieu peut-être, aux personnages qui s'agitent - sérieux ou non, si l'on pense à la communauté de naturistes illuminés où Chet et Lottie font halte. Enfin, il est intéressant de relever la présence récurrente du lapin, sous des formes diverses apparaissant aux moments clés: un lapin vient ainsi visiter Chet et Lottie lorsqu'ils font l'amour pour la première fois, en plein air; ceux-ci s'installent dans un motel nommé "Big Bunny", ce qui renvoie aussi à cet animal. Enfin, le motif est repris dans les illustrations du chapitre IV de la première partie.
Illustrations, justement... Celles-ci sont des estampes. Elles rendent hommage à des images fameuses, éventuellement reprises du film "Over The Rainbow". L'artiste, David Brülhart, en fait quelque chose de brut de décoffrage, parfois un brin statique (scènes de boxe), mariant traits clairs et coups de pinceau vigoureux. Leur rôle est d'illustrer le propos, certes; mais il arrive régulièrement qu'elles s'éloignent de celui-ci pour souligner une ambiance plutôt qu'une péripétie. Le dialogue avec le texte s'installe donc de manières diverses, toujours pertinentes.
Avec "La vie sauvage", les éditions Hélice Hélas endossent un beau rôle de passeurs, rare en Suisse romande, et mettent en valeur le texte d'un écrivain américain en lui associant un artiste suisse. Globalement, le rendu en français sonne juste et s'avère en phase avec un propos tragique (il est sous-titré "Elégie pour un boxeur mort", tout un programme) qui donne à voir l'Amérique profonde, loin des buildings.
Tony O'Neill et David Brülhart, La vie sauvage, Vevey, Hélice Hélas, 2016.
Quelle coïncidence, j'ai justement regarder le reportage de la rts aujourd'hui. Il faudrait que j'essaie les "romans illustrés" même si je préfère juste les mots afin de me faire mes propres images. Est-ce que l'illustration apporte vraiment un plus dans un roman ? Qu'en penses tu ?
RépondreSupprimerBonsoir Stella, merci pour ton passage sur mon blog! Je te souhaite une bonne année.
RépondreSupprimerJe suis aussi plutôt habitué aux mots seuls, et "La vie sauvage" ne va pas changer cette habitude. Cela dit, l'intérêt d'un roman illustré ou graphique bien fait est qu'il offre un dialogue entre les deux formes d'art. Ici, il y a effectivement une forme de complémentarité, qui va plus loin que le simple "dessin" de ce qui se passe dans le roman.
A noter que certains éditeurs, par exemple "Le Réalgar" à Saint-Etienne, se sont spécialisés dans de telles démarches, pour le meilleur.