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mercredi 14 octobre 2020

Des cochons grillés en Sardaigne et à Neuchâtel

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Fabio Benoit – Angel est de retour... et il n'est pas content. À tel point que l'écrivain Fabio Benoit, commissaire à la police judiciaire de Neuchâtel, peut lui consacrer un troisième roman, après "Mauvaise personne" et "Mauvaise conscience". "L'Ivresse des flammes" permet de revenir sur un canton de Neuchâtel aux prises, à tout le moins, avec un mystérieux pyromane qui a déjà fait des siennes dans "Mauvaise conscience". Ainsi se dessine une trilogie...

En préambule, on dirait que Neuchâtel devient en quelque sorte la capitale suisse romande du polar, voire du crime. Il y a en effet deux ou trois convergences entre l'œuvre de Fabio Benoit et celle de Nicolas Feuz. On retrouve ainsi le fameux BAP ou "bâtiment administratif des Poudrières", surnommé la "Boîte à poulets", qui pourrait faire figure de "36" neuchâtelois. De plus, les deux auteurs, qui dessinent le canton de Neuchâtel de manière réaliste, exercent un métier proche de la police et de la justice. Enfin, il y a une affaire de réseaux: si Nicolas Feuz évoque la mafia albanaise, c'est aux mafieux italiens que Fabio Benoit s'intéresse.

Cet intérêt se manifeste par la mise en scène non exempte de romantisme d'une poignée de bergers sardes jaloux de leur indépendance et de leur capacité à gérer le territoire vers Olbia, en particulier face à la 'Ndrangheta, mafia calabraise, désireuse de développer ses activités du côté de la Sardaigne. Pas de trafic de drogue ni de blanchiment d'argent via des hôtels par ici! Mais les bergers sardes ont leurs propres manières de faire la loi. On découvre ainsi un éleveur dont les porcs sont savoureux parce qu'ils sont anthropophages...

Par le biais d'Angelo Chiesa dit Angel, l'auteur fait rebondir son intrigue dans le canton de Neuchâtel. Il développe massivement le personnage d'Angel, relatant son enfance torturée et la violence dont il a été victime, mais aussi acteur. Le lecteur aura donc son content de scènes de tortures, relatées avec juste ce qu'il faut de cruauté. Surtout, l'écrivain joue sur les résonances d'un bout à l'autre d'une vie: l'incendie de la ferme du frère d'Angel, à La Brévine, rappelle un autre incendie, survenu bien plus tôt en Sardaigne. Victime du feu à deux reprises, Angel et son frère Aldo! Mais qui a gratté l'allumette?

S'il creuse le sillon de son personnage d'Angel, l'écrivain ne néglige pas ses personnages secondaires pour autant. Ils lui offrent une certaine liberté qui lui permet de s'amuser. On sourira ainsi de la misophonie de tel parrain mafieux, ainsi que de l'alibi sentimental d'un pompier qu'on a cru pyromane: la flamme qu'il tente d'éteindre n'est pas celle qu'on a cru. "Trop facile", suggère la criminologue québécoise Marianne Tremblay, qui apporte au roman quelques savoureuses expressions de la Belle Province. Quant aux cochons d'Aldo, enfin, ils jouent un rôle de leitmotiv animal sympa, après Lola (le lapin blanc, apparu dans "Mauvaise conscience") et les perruches d'Angel.

Pour davantage de finesse et de profondeur encore, l'écrivain choisit de multiplier les points de vue, les titres des chapitres faisant office de commentaires incitatifs de l'auteur. Le lecteur suit ainsi tantôt les enquêteurs, les victimes d'incendies, mais aussi de personnages aussi improbables que le notaire Cornelius Eck. Fin connaisseur des interrogatoires de police (il en a fait l'objet d'une remarquable étude, intitulée "Les secrets des interrogatoires et des auditions police", avec Olivier Guéniat), enfin, l'écrivain met un point d'honneur à réussir des dialogues et interrogatoires persuasifs, allant jusqu'à planter le bon décor, par exemple un local dépourvu de toute décoration qui pourrait permettre à la personne interrogée de s'abstraire de ce qui se passe.

Le lecteur reste ainsi captivé par ce thriller solidement construit, documenté comme il se doit pour davantage de réalisme – l'auteur est allé vivre en Sardaigne pour s'imprégner de la mentalité locale. "L'ivresse des flammes" paraît clore une trilogie, avec ses personnages morts ou tirés d'affaire, par exemple grâce à un ticket de loterie gagnant (tiens, comme dans "... au point 1230" de Laurence Voïta – sauf que ce n'est pas pareil). Mais l'intrigue pourrait bien receler quelques portes ouvertes ou à ouvrir pour un nouveau volume autour d'Angel.

Fabio Benoit, L'ivresse des flammes, Lausanne, Favre, 2020.

Le site des éditions Favre.


2 commentaires:

  1. Ça a l'air bien ! j'aime bien la couverture aussi.
    Merci pour cette belle chronique.
    Bonne journée

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    Réponses
    1. Ah oui, la couverture est adorable!...
      Merci de l'intérêt que tu as porté à cette chronique! Apparemment, la Suisse romande, région apparemment pépère, devient une terre de bons polars.

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