Fabrice Châtelain – Il s'appelle Vincent et c'est un loser. Belle antiphrase pour un antihéros! C'est lui qui hante "En haut de l'affiche", premier roman de l'écrivain et avocat Fabrice Châtelain. Un ouvrage qui évoque de façon bien corrosive les travers des univers du cinéma et et des beaux-arts. On le devine: il y de quoi faire, et l'auteur exploite sa matière à fond pour faire rire son lectorat, sur le ton d'une caricature salutaire. Et derrière Vincent, la comédie des noms évocateurs répand son sel attique tout au long du livre.
Tout commence cependant dans un monde bien éloigné des arts, celui de la vente de produits d'entretien. C'est l'occasion pour l'auteur de lancer le personnage de Paillard, qui porte bien son nom lui aussi: c'est l'exemple du beauf moyen, sexiste et raciste sans même s'en rendre compte, nanti d'une Louise dans chaque port. Pourtant, l'auteur lui réserve un traitement de faveur inespéré en lui prêtant des talents natifs de comédien, révélés lors d'un cours de théâtre. En tout représentant de commerce, un acteur sommeille...
Théâtre ou cinéma? L'opposition entre les deux genres traverse "En haut de l'affiche". Côté théâtre, l'auteur met en scène la parfaite caricature d'un de ces maîtres de théâtre lunatiques et imbus d'eux-mêmes, porteur qui plus est d'un nom à particule un brin prétentieux, lâché comme par inadvertance par l'écrivain. Fraîchement converti à ce genre littéraire, Paillard méprise tout soudain le genre plus populaire du cinéma. C'est pourtant ce dernier que l'auteur choisit d'explorer, en mettant en scène deux personnages qui s'y intéressent: Vincent, qui a comme tout le monde un scénario dans ses tiroirs, et Noémie, jeune femme qui a intégré tous les poncifs du progressisme et aspire à devenir réalisatrice.
Et dès lors que l'on a trouvé un producteur, c'est parti! L'auteur balade un œil caustique sur la dénaturation progressive du scénario imaginé par Vincent, figure de héros romantique absolu mais finalement assez facilement corruptible - entre autres grâce aux talents de manipulatrice de Noémie. Chacun poursuit son agenda; et à la fin, ce sont ceux qui transigent qui gagnent. L'absolu visé par l'art, et en particulier par le cinéma d'auteur subventionné à la française, en prend un sacré coup...
... un coup préparé par la description d'artistes réunis en un vernissage improbable du côté de la rue de Seine, à Paris. Narquois, l'auteur décrit les dérives d'un art qui se définit de façon extensive en mettant en scène un personnage nommé Ken et qui, avec ses apophtegmes creux, fait penser à Ben Vautier, et un autre, repris de justice nommé Ramda, dont le talent s'exprime par le graffiti. Surtout, en les décrivant, l'écrivain excelle à caricaturer le discours amphigourique qu'on tient parfois pour faire mousser de prétendus artistes et faire oublier le vide abyssal de leurs créations. Encore une fois, les noms sont bien choisis: ils n'évoquent pas une origine évidente, ce qui suggère qu'ils portent une forme d'art hors sol.
La caricature de cet art contemporain qui utilise tout ce qui se présente, même de manière cynique, est à son comble lorsque l'auteur décrit un happening mettant en scène des migrants venus planter leur tente Quechua dans la rue de Seine. En particulier, c'est d'une plume jouissive qu'il relate les réactions, empreintes de ce politiquement correct qu'on adore détester et dont il pointe les travers avec une précision d'orfèvre.
"En haut de l'affiche" recèle par ailleurs aussi une belle caricature du critique, personnage indissociable du monde des arts, en la personne de Troussier. Et c'est dans ce petit monde d'ego démesurés et lunatiques, décrit avec force détails et une évidente jubilation, que l'écrivain lâche Vincent, jeune homme presque sans défense, pas du tout préparé à être vigoureusement ballotté. La jubilation est partagée par le lecteur, qui ne manquera pas de se laisser aller à une saine hilarité, bienvenue en ces temps mornes. Et enfin, les produits de nettoyage, ce n'est pas si mal... sans compter qu'à en croire l'écrivain, le monde des arts visuels a bien besoin d'un sacré coup de balai.
Fabrice Châtelain, En haut de l'affiche, Paris, Editions Intervalles, 2020.
Le site des éditions Intervalles.
J'ai trouvé ce roman réjouissant, mordant, et drôle. La performance avec les migrants est à vomir, mais je me demande si l'idée n'est pas déjà venue à l'esprit de certains
RépondreSupprimerJe n'en serais pas étonné non plus… En effet, un sacré roman!
RépondreSupprimerBonne semaine!