dimanche 19 février 2017

Noir et blanc, vous avez quatre heures...

Noir"Noir et blanc, vous avez quatre heures..." C'est ce qu'ont dû entendre les treize auteurs des nouvelles collectées dans le recueil "Noir et blanc", paru en fin 2016 aux éditions Hélices Hélas. C'est un petit livre atypique: il est le résultat d'un défi lancé aux écrivains de tout poil sous l'égide du Salon du livre romand le 21 novembre 2015 - beau millésime pour cette jeune manifestation, pilotée par l'écrivaine Marilyn Stellini. Souvenir personnel: du stand de la Société fribourgeoise des écrivains, je pouvais observer du coin de l'oeil les treize auteurs réunis, faisant fumer leurs cerveaux et chauffer les claviers de leurs ordinateurs. Il est heureux qu'aujourd'hui, il subsiste un livre recueillant les fruits de cet intense exercice de sprint littéraire.

Les treize écrivains qui ont planché sur ce thème, communiqué le jour même en vue d'une écriture immédiate sur place, ont une approche diverse de la littérature. Dans l'équipe, se trouvent en effet des gens qui ont voulu tenter le coup parce qu'écrire est une envie de longue date, mais aussi des auteurs ayant déjà quelques publications à leur actif. On relève l'écrasante majorité féminine: parmi les auteurs, on ne dénombre que deux hommes.

"Noir et blanc", bien sûr, ce sont les couleurs du canton de Fribourg, ce canton qui abrite le Salon du livre romand depuis 2014, à Bulle puis en ville de Fribourg. Les auteurs y ont pensé, certes. Mais force est de constater qu'en général, ils ont préféré prendre leurs distances avec cette contrée, sans pour autant en oublier certaines choses belles ou caractéristiques. Ainsi, c'est dans une église que se déroule "La rédemption" de Mélissa Correia, qui ouvre le recueil, rappelant que le canton est une terre aux racines catholiques; son personnage principal, Elden, semble avoir manqué le paradis pour une seule lettre. La figure de Marcel Imsand, photographe poète du noir et blanc vivant dans le canton et natif de Pringy, hante plus d'un texte, par exemple "Le Retour" de Philippe Gremaud.

On le conçoit, un tel thème invite à des écritures visuelles, sensibles aux couleurs, éventuellement en opposition au noir et au blanc. "Une veste rouge", de Laurence Lanier, familière des concours de nouvelles, ne manque aucune occasion de mentionner les couleurs du monde, jusqu'à donner une impression de saturation. Par contraste, la mention de ces couleurs est d'autant plus cruelle que le personnage principal de cette nouvelle a perdu la vue des couleurs à la suite d'un drame personnel. Juste après dans le recueil, "Aube vive" de Manuela Ackermann-Repond (qui vient de publier son premier roman, "La Capeline écarlate", soit dit en passant...), n'hésite pas à interpeller le lecteur autour de la palette mélangée d'une artiste: c'est sensuel et vigoureux à la fois.

Le noir et le blanc, c'est aussi une question de peau, et c'est le sujet de "Noir et blanc, nos différences" de Laura Matthey, une nouvelle naïve peut-être, mais qui a le mérite de se trouver en phase avec l'actualité (l'accueil de migrants dans un village qui pourrait bien se trouver dans le canton de Fribourg) et de délivrer un message d'humanité - à travers le personnage d'un prêtre, qui plus est.

Enfin, on se rapproche du pays de Fribourg avec des textes comme "Au pied de la montagne" de Ketsia Saâd, difficile approche d'un personnage de guide de montagne qui a secoué son propre fils, manquant de le tuer ainsi - ce qui rappelle un événement tragique survenu dans la région il y a une bonne quinzaine d'années. Cela, sur le fond immaculé des montagnes! Plus heureux, dans le plus pur style des contes de la Gruyère, avec un soupçon de fantastique de bon aloi, on relève "Les fantômes du comte Rodolphe de Gruyères" d'Anne-Catherine Biner, qui dessine avec réalisme l'histoire du comté de Gruyères et donne à voir quelques lieux emblématiques de la cité des comtes. 

En préfacier habile, l'écrivain vaudois Pierre-Yves Lador relève les contraintes de l'exercice, et fait appel à la bienveillance du lectorat en rappelant les contraintes de l'exercice. Il n'empêche: en quatre heures, tout un recueil de nouvelles cohérent et sympathique est né. L'ordre des textes est un perpétuel glissement, un thème ou un trait d'intrigue dans un texte rappelant celui qui suit ou précède. Treize sensibilités se sont exprimées dans "Noir et blanc", diverses, et chaque lecteur passera un bon moment en lisant ce petit livre, et y trouvera ses préférences.

Collectif, Noir et blanc, Vevey, Hélice Hélas, 2016.

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