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mercredi 26 octobre 2022

Martina Chyba: cinquantaine, quand tu nous tiens...

Martina Chyba – Voir quelqu'un, avoir quelqu'un. Avoir un rendez-vous, chez le psy ou avec une personne du sexe opposé. C'est sur ces deux pistes poreuses, dites avec des mots si proches, que l'écrivaine et journaliste Martina Chyba développe son dernier roman, "Rendez-vous". Celui-ci peut être vu comme la chronique ironique d'une crise existentielle qui connaît une issue heureuse, un tout petit peu à la manière d'un roman feel-good aux ressorts narratifs psychologiques.

La narratrice, ce pourrait être Martina Chyba elle-même, tant il est vrai que ce roman emprunte au vécu de l'auteure. Mais voilà: elle n'est pas nommée, contrairement à d'autres personnages, ce qui autorise le doute. Cette narratrice, c'est une quinquagénaire qui, en l'espace d'une année, va voir sa vie transformée. 

Il n'y a rien qui ne soit hors du commun dans les péripéties évoquées: le décès de Maman (qui vaut des pages résolues et tendres à la fois, chargées d'une belle tension dramatique), un homme qui fait irruption dans un train-train bien réglé (là, c'est "Tinder Surprise", l'enfant en moins), la cinquantaine qui sonne "dans ses artères et dans son job" alors qu'elle a encore trente ans "dans sa tête". Mais il y a largement de quoi secouer une âme.

Côté ville, pourtant, la narratrice paraît bien dans ses Doc Martens. C'est une femme de télévision accomplie, capable d'en remontrer à une jeune génération de journalistes prompts à lui coller des étiquettes stigmatisantes empruntées au wokisme (un conflit de générations qui fait penser à Hugues Serraf dans "Le dernier Juif de France"). C'est avec un plaisir non dissimulé qu'elle évoque son aisance à piloter un scooter à travers les rues de Genève ou à prendre le TGV pour Paris. Et ses galères, par exemple le corps qui change ou les loyers proverbialement prohibitifs des immeubles genevois, elle les exprime avec un recul mêlé d'une fraîche acidité.

Il faut pourtant un psy pour accompagner tout cela. Sa méthode est toute personnelle, et c'est le fil rouge du roman: le praticien l'envoie aux quatre coins du monde pour voir sept tableaux de maîtres, s'en imprégner et découvrir ce qu'ils peuvent apporter à son existence. Pablo Picasso, Egon Schiele, Niki de Saint-Phalle, Vincent Van Gogh et quelques autres vont ainsi pousser la narratrice à se redécouvrir, au début de ce que l'écrivain Hugues Serraf, déjà cité, appelait la "Deuxième mi-temps". Et à comprendre qu'elle en a encore sous le pied, mine de rien.

Ici, il n'est pas interdit au lecteur d'être davantage que spectateur: le livre contient des photos des œuvres d'art citées, ce qui suffit pour donner une, voire des idées pour soi-même. Les tableaux ne sont du reste qu'un aspect d'une écriture qui cultive un certain côté visuel, par exemple lorsqu'il est question de "repas rouges" avec tel ami (Max) ou telle amie (Sixtine) – fort différents mais nommés pareil, par leur couleur.

C'est que l'auteure a le sens de la formule qui frappe, sarcastique ou piquante – un talent que le lecteur de la journaliste Martina Chyba, qui poste aussi des billets malicieux sur les réseaux sociaux, reconnaît immédiatement. Cette malice dans le verbe témoigne d'une jeunesse d'écriture délibérée, qui résonne avec l'envie, qui transparaît à chaque page de "Rendez-vous", de vivre encore, de vivre une passion qui fait rouler les amants sur les paves de Montmartre, de boire doucement, de baiser follement, de se sentir à nouveau libre, à chaque instant.

Martina Chyba, Rendez-vous, Lausanne, Favre, 2022.

Le site des éditions Favre.

4 commentaires:

  1. Intéressant comme livre, ça a l'air de sortir de l'ordinaire. Merci pour ce retour !

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    1. Bonjour et merci pour ton commentaire! En effet, c'est un roman sympa avec un personnage principal finement travaillé, avec une bonne part de vécu de la part de l'auteure.
      Bonne fin de semaine à toi!

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  2. Si dans l'absolu, le roman ne m'aurait pas attirée, ce que tu dis du ton et de la plume me plaît bien !

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    1. Bonjour Audrey! En effet, le ton est particulièrement séduisant, par son ironie et son piquant. L'auteure n'en est pas à son coup d'essai, mais c'est son premier roman depuis plus de dix ans.
      (et plus personnellement, comme j'approche de l'âge fatidique évoqué dans le roman, ça résonne quelque peu aussi...)
      Bon dimanche à toi!

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