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mardi 28 mai 2024

"Maria Chapdelaine", au rythme de la nature qui commande

Maria Chapdelaine – Bien entendu, le mode de vie décrit dans "Maria Chapdelaine", roman de l'écrivain français Louis Hémon (1880-1913), est révolu: il n'est plus temps de "faire de la terre", de plus en plus au nord du Québec, comme dans les années 1908-1909. Paru pour la première fois en volume en 1916, ce petit ouvrage dense a su se faire sa place dans les lettres francophones et la conserver jusqu'à aujourd'hui, non sans polariser: les pionniers du Québec que l'auteur décrit sur la base de six mois de vie passés au Canada sont-ils vraiment tels que ceux qui, venus de France, ont effectivement vécu au Canada? La question s'est posée.

C'est pourtant une image riche que l'auteur restitue de cette poignée de colons plus ou moins nomades, installés loin de tout, même de l'église en tant que lieu de culte, asservis par une nature indomptable aux hivers interminables et glacés et aux étés toujours trop courts. La nature du grand Nord fait elle-même partie des personnages du roman, de même que les animaux de la ferme, qui ont leurs exigences. C'est ainsi que la vie humaine est rythmée dans "Maria Chapdelaine", et la mort sanctionne parfois ceux qui la bravent. Faut-il se soumettre à loi d'airain de la nature en continuant à vivre en nomade explorateur ou s'installer enfin? Cette question traverse le roman et fait partie de questionnements de Maria Chapdelaine. 

Maria Chapdelaine? On la découvre jeune, belle et solide paysanne, pragmatique, peu causante, parfaitement intégrée dans l'univers que l'auteur décrit. En âge de se marier, ses sentiments sont aussi le véhicule littéraire d'une certaine description sociale. Ils seront trois, ceux que l'auteur décrit comme prétendants possibles. Il est permis de sourire à leurs noms, mais ceux-ci sont révélateurs tout en sonnant vrai: Paradis sera le premier à s'en aller pour un monde meilleur, perdu (on dit "écarté" dans ce monde à part) dans la forêt et la neige. Il y aura aussi Surprenant, qui promet un avenir ailleurs, "aux Etats". Et enfin Gagnon, qui suggère qu'il "gagne" en définitive le cœur de Maria Chapdelaine – mais aussi sa raison, puisque leur avenir commun sera sur les terres pas toujours faciles à vivre que l'auteur réserve à ses personnages.

Un monde qui impose une vie simple qui va à l'essentiel: on vit de peu et l'on se débrouille avec presque rien, les veillées sont des moments de rencontre privilégiés, et l'auteur en profite pour observer, un peu à la manière distancée d'un reporter, un mode de vie et de dialogues vus comme sans cesse ressassés autour de thèmes terre-à-terre partagés. Les répliques sonnent comme venues d'ailleurs, recréées dans l'esprit de ce qu'on peut entendre au Québec mais sans prétendre singer la "parlure" québécoise – tout permettant de mesurer, déjà, l'écart entre le français des pionniers et celui des arrivants de fraîche date, venus de France et déjà désenchantés: on pense à la famille de l'accordeur de pianos – un métier dont la possibilité d'exister échappe même aux pionniers. 

Quant à l'écriture, elle s'avère plus lente qu'en apparence, obligeant le lecteur à adopter un rythme sans doute similaire à celui de Charles-Eugène, sempiternel cheval (gageons qu'il y a encore des chevaux nommés Charles-Eugène au Québec...) abattant cahin-caha sa part de besogne lorsqu'il s'agit de défricher de vastes espaces de forêt en vue de dégager des terres cultivables, promesses fragiles d'une vie prospère. Propulsé par les élans du cœur aussi forts que nécessairement pudiques de Maria Chapdelaine, ce court roman recrée de manière crédible tout un petit monde de solidarités face à une double adversité hors du commun: celle de la nature, et au-delà celle de Dieu qui régente toute vie.

Louis Hémon, Maria Chapdelaine, Montréal, Bibliothèque du Québec, 2013, première édition Montréal, 1916/Paris, 1921. Préface d'Aurélien Boivin, postface de Bernard Clavel.

Image: affiche du film de Sébastien Pilote (2021).


2 commentaires:

  1. Il est dans ma PAL Québec/Canada celui-ci ! J'ai la version "bibliothèque Lattès" qui date de 1990 (un tout petit livre bleuté). On apprend dans la présentation que deux lacs canadiens ont été rebaptisés "Hémon" et "Chapdelaine"...

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    1. Bonjour Nathalie! Pour ma part, je l'ai trouvé dans une boîte à livres... et n'ai pas regretté. J'ai cependant été surpris d'apprendre que Louis Hémon n'avait rien de canadien... Bonne découverte à toi!

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