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jeudi 16 juin 2022

La Shoah par balles sous ses fenêtres: sur le "Journal de Ponary" de Kazimierz Sakowicz

Kazimierz Sakowicz – Le "Journal de Ponary", c'est une myriade de feuillets sur lesquels le publiciste polonais Kazimierz Sakowicz (1894-1944), installé à Ponary, cité forestière de Lituanie, a consigné de 1941 à 1943 ce qui se passait sous ses fenêtres. Particularité: c'est là, dans sept grandes fosses, que les Juifs de Lituanie, hommes, femmes, enfants, étaient exécutés, dans le contexte de l'annexion par les nazis. 

Ce sont ces actes glaçants, perpétrés le plus souvent par les nationalistes lituaniens eux-mêmes, que le "Journal de Ponary" relate. Factuel à la manière d'un journaliste, l'auteur dit le zèle des criminels de guerre locaux, leurs méthodes, les chiffres quotidiens, les coups de feu. Il énonce aussi le sale commerce qui se développe autour des affaires des personnes abattues, affaires précieuses ou simples vêtements: "Pour les Allemands, 300 juifs représentent 300 ennemis de l'humanité. Pour les Lituaniens, 300 paires de chaussures et de pantalons", commente-t-il à ce sujet, en une phrase choc. Enfin, il sera aussi question de la résistance juive: les "bandits", comme les surnomme curieusement le chroniqueur.

Le "Journal de Ponary" est un témoignage oculaire rare, pour ne pas dire unique, de la Shoah par balles. L'entreprise de témoignage de son auteur n'est pas exempte de risques pour lui-même – c'est peut-être aussi ce qui explique qu'il ne soit pas passé à l'action face à l'insoutenable qu'il relate, par exemple en protégeant des personnes qui auraient fui dans la direction de sa maison. Pour réduire encore les risques pour lui-même, il a pris soin de cacher ses notes journalières dans des bouteilles de limonade qu'il a enterrées dans son jardin. Elles ont été retrouvées peu à peu après la Seconde Guerre mondiale par la résistante Rachel Margolis; il en reste peut-être à déterrer. Puis le texte a été publié une première fois dans sa version originale en polonais en 1999. 

Publiée en 2021 dans une traduction d'Alexandra Laignel-Lavastine, l'édition française est nourrie d'un riche appareil critique et préfacée par Rachel Margolis, avec laquelle le lecteur est invité à faire connaissance. Cet appareil critique a cependant été conçu pour ne jamais paraître rébarbatif ou ardu au lecteur non historien. Il y est question du caractère expérimental de la Shoah en Lituanie, ainsi que du rôle des populations de cette région, qui abritait auparavant une population juive nombreuse et vivace, à telle enseigne que Vilnius, alors Wilno, a été surnommée "la Jérusalem du Nord".

Une bonne idée encore: plutôt que d'encombrer le texte du "Journal de Ponary" de notes de bas de page, l'éditrice a choisi de mettre en perspective certains de ses aspects au moyen de 18 "éclairages historiques" collectés en fin d'ouvrage et auxquels le lecteur est invité à se référer au fil de sa lecture. Enfin, ce livre se clôt sur cette histoire qui s'est bel et bien écrite au fil des témoignages, alors que les Nazis auraient voulu l'effacer au moment de la débâcle, et sur des considérations relatives au difficile rapport de la Lituanie d'aujourd'hui à son passé, marqué à la fois par le nationalisme et le communisme. Enfin, un ample cahier d'illustrations, parfois difficiles à regarder, donne à voir l'horreur, en complément des mots. 

Si terrible qu'il soit, voilà un document important pour l'Histoire, richement présenté, abordant des aspects méconnus de la Shoah par balles.

Kazimierz Sakowicz, Journal de Ponary 1941-1943, Paris, Bernard Grasset, 2021, traduction du polonais par Alexandra Laignel-Lavastine, présentation du texte par Rachel Margolis et Alexandra Laignel-Lavastine.

Lu dans le cadre du défi 2022 en classiques (Nathalie et Blandine).

2 commentaires:

  1. Merci pour cette nouvelle participation. Un témoignage très certainement intéressant, mais que je ne lirai pas. J'arrive à lire des ouvrages sur la première guerre mondiale mais la deuxième, j'ai du mal !

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    1. Bonsoir Nath! Merci pour ton commentaire. En effet, ce n'est pas toujours une lecture facile. Mais c'est très instructif en effet, sur des aspects de la Seconde Guerre mondiale qui ont été un peu oubliés à l'Ouest.
      Bonne fin de semaine à toi!

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