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jeudi 4 mars 2021

Samuel Doux, funérailles et fantômes

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Samuel Doux – "Depuis l'enfance mes souvenirs tombent comme des murs sans fondations et disparaissent." C'est ainsi que débute "Dieu n'est même pas mort", le premier roman de l'écrivain Samuel Doux. Celui-ci prend prétexte du décès d'une grand-mère, celle d'Elias Oberer, pour relater l'histoire de toute une famille juive européenne, forcément marquée par l'Histoire, sur quatre générations qui couvrent pour ainsi dire un siècle. Et tout finit à Poitiers...

C'est là qu'Elias Oberer se retrouve, contraint malgré lui d'organiser les funérailles de sa grand-mère, suicidée. Elias Oberer a quelques chose de Samuel Doux, dans la mesure où tous deux sont scénaristes. 

Le lecteur découvre en Elias Oberer un personnage pas très famille, antihéros chargé de faire face à une situation qui concerne et gêne tout un chacun. Le fil rouge de "Dieu n'est même pas mort" est dès lors constitué de tous ses vieux fantômes: ces souvenir qui sont comme des murs disparus, ils vont resurgir soudain. Et ils entreront en résonance avec les soucis concrets des préparatifs. Une bague d'argent sertie de diamants, introuvable, sert de fil rouge – par son caractère dérisoire en dépit de son prix supposé, l'objet peut aussi faire figure de McGuffin.

D'autant plus que personne n'aurait très envie d'avoir un souvenir de la défunte. L'auteur dessine ici le portrait d'une femme toxique, lourde, prompte à rabaisser, ayant du mal avec la notion de bonheur. Cela, même si face aux voisins, elle apparaît parfaitement aimable. Côté famille, c'est à sa troisième tentative qu'elle réussit son suicide. Et la méthode rappelle, et c'est glaçant, celle, trop bien connue, des nazis assassins.

Ces nazis ne sont qu'une étape, certes terrible, sur le parcours de la famille dont Elias Oberer est issu. A peine juif, si ce n'est de culture, celui-ci se retrouve cependant héritier d'une histoire familiale qui a connu les pogroms en Pologne, la fuite à l'étranger, le choix de la France, le national-socialisme. En structurant son roman de façon polyphonique, l'auteur donne la parole à plusieurs personnages, ancêtres qui ont vécu ces épisodes dans leur chair. 

On relève incidemment que, de façon presque classique, comme pour jouer des stéréotypes afin de dire que les juifs décrits dans "Dieu n'est même pas mort" sont typiques, l'auteur indique que tout le monde dans la famille a travaillé dans le commerce des tissus – on pense aux "Schmattes" de "Un monde sur mesure", roman certes plus tardif de Nathalie Skowronek. Le point de vue sur le métier montre lui aussi une évolution des personnages, des forains indépendants et habiles jusqu'au représentant sûr de lui mais au service d'une entreprise.

Elias Oberer voit remonter ses racines juives au fil des pages, et ça secoue – les voix de ses ancêtres résonnent, et même s'il ne les entend pas, elles semblent l'impacter, d'autant plus que l'auteur s'arrange pour que les épisodes du passé paraissent se répéter au présent. Mais ce qui secoue aussi, plus amplement, ce sont les rencontres successives que fait le personnage à Poitiers, une petite ville que ce Parisien ne retrouve qu'à regret. Rencontres improbables: une famille bulgare miséreuse qui habite de façon clandestinement dans le même hôtel que lui, un patron de kebab avec lequel il parle football, le gars des pompes funèbres, une serveuse qu'il aura trouvée charmante. Rencontres fugaces, sans lendemain, moments d'humanité pourtant.

Ce roman polyphonique ne surjoue pas les voix en changeant de narrateur: la polyphonie sert avant tout à additionner les points de vue au travers des années pour recréer de façon serrée le destin torturé d'une lignée. Il en résulte une forte impression d'unité, renforcée par une écriture en longs paragraphes qui transcrit les dialogues à l'avenant, en italique: plus d'une fois, ce sont les voix du passé qui résonnent, et l'auteur a jugé pertinent, à juste titre, de les mettre en forme de façon atypique. Ainsi vont les familles...

Samuel Doux, Dieu n'est même pas mort, Paris, Julliard, 2012.

Lu par AnitaFannyVéronique D..

Le site des éditions Julliard.

2 commentaires:

  1. Tout à fait par hasard, je tombe sur vos mots et c'est une émotion de vous lire, de savoir que vous avez lu Dieu n'est même pas mort, que vous y avez trouvé des "voix qui vous parlent..." En ces temps troublés, le lien que vous avez lancé avec cette chronique, résonne plus fort que vous ne l'imaginez. Merci, sincèrement merci. Samuel Doux.

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    1. Merci de votre passage sur ce blog, et d'avoir laissé un message! A mon tour de vous remercier, pour les heures de lecture que "Dieu n'est même pas mort" m'a values. Je me réjouis de lire de nouveaux ouvrages de votre main, et guetterai donc vos prochaines parutions. Avez-vous un opus "sur le gril" en ce moment? Je le découvrirai avec plaisir.
      Cordiales salutations, merci à vous!

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