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samedi 26 octobre 2019

Pour dire Fukushima, le caractère explosif du porno

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Genichiro Takahashi – Tout le monde se souvient de la catastrophe nucléaire de Fukushima, survenue au Japon en mars 2011. C'est de là que démarre le roman "La Centrale en chaleur" de Genichiro Takahashi, artiste touche-à-tout japonais. Son livre offre un voyage absolument délirant et jubilatoire dans un univers fou où le cul n'est jamais loin. Pas plus que la réflexion sur la société japonaise actuelle.


Qu'on en juge: on se retrouve à écouter deux personnages qui imaginent de tourner un film "pornographico-philanthropique" pour venir en aide aux victimes de la catastrophe. Tout commence avec le visionnement d'un film possible. D'emblée, on se pose des questions: le porno doit-il se cantonner à la représentation explicite d'actes sexuels, ou peut-il déborder vers des réflexions sur le monde tel qu'il va, dans sa dimension politique, ou en se parant des atours de l'art expérimental? La présence incongrue de singes, récurrente au-delà du film, en est un exemple.

Ce débat constitue une bonne partie d'un livre qui fait la part belle à des dialogues qui battent allègrement la campagne, entre un réalisateur qui se veut artiste et un producteur qui doit bien faire rentrer l'argent – mais a des airs de faiseur de miracles quasi surnaturel: il est capable d'offrir Angelina Jolie vierge sur un plateau à son interlocuteur, par exemple. Le lecteur se sent ballotté entre deux univers poreux: est-ce que l'on parle du film, de la fiction, ou de la réalité des deux interlocuteurs? Ce n'est jamais sûr. On relève que les titres, surnommés "Making Of", indiquent qu'on est dans les coulisses de quelque chose qui se construit: un film, ou une vision du monde en général et du Japon en particulier.

Cela permet à l'écrivain de déborder son thème prétexte pour aborder quelques questions de société qui travaillent le Japon d'aujourd'hui: l'Empereur, le président, les souvenirs traumatisants de la Seconde guerre mondiale – lorsqu'on pense à la catastrophe nucléaire de Fukushima, impossible de passer sous silence les bombes atomiques de Nagasaki et Hiroshima et les résonances entre ces événements tragiques. Sans oublier la question de l'écologie...

L'auteur ne recule pas devant les thèmes scabreux ou sensibles, qu'il aborde de façon décomplexée voire amusante, à l'instar de la scatophilie, détaillée dès la page 99 sur un ton faussement scientifique. Il est également question de la manière dont il faut voir le monde de la sexualité ("bite et chatte" sont des mots récurrents dans "La Centrale en chaleur", et s'ils sont un élément clé de tout film porno, ils sont aussi cruciaux dans la vraie vie, même si l'on n'en parle pas forcément) – en particulier d'un point de vue féminin totalement subversif, qui peut choquer mais s'avère totalement rationnel. Cela, sans oublier les "épouses hollandaises", qui ne sont rien d'autre que des poupées électroniques que certains hommes préfèrent aux vraies femmes. On l'a compris: au-delà de Fukushima, le rapport de la société japonaise à la sexualité est un thème récurrent de "La Centrale en chaleur".

L'histoire humaine fait écho à l'histoire de la culture dans "La Centrale en chaleur". Les références littéraires et culturelles sont nombreuses, succinctement explicitées à l'attention des lecteurs peu familiers de ce domaine. Le lecteur se retrouve ainsi baigné de paroles de chansons, citées et traduites généreusement, ce qui donne à certaines pages des ambiances de joyeuse comédie musicale, totalement décalée par exemple lorsqu'il est question de marins en train de se noyer. La musique de "La Centrale en chaleur", c'est aussi celle de l'écrivain, qui use et abuse des caractères gras et des blancs typographiques pour développer une écriture aux allures criardes, complètement délirante et explosive, porteuse d'un humour qui n'est jamais tout à fait gratuit.

Genichiro Takahashi, La Centrale en chaleur, Paris, Books Editions, 2013. Traduit du japonais par Sylvain Cardonnel.

Le site de Books Editions.

2 commentaires:

  1. Réponses
    1. En effet! C'est un sacré livre, complètement déjanté. Je t'en souhaite une bonne découverte!

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