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jeudi 24 janvier 2019

Dimitris Sotakis: le diable et sa famille en Transylvanie

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Dimitris Sotakis – Diabolique intrigue que celle qui se déroule au fil de "Une famille presque parfaite", roman de l'écrivain grec Dimitri Sotakis. Le titre grec original en dit beaucoup sur l'aboutissement de l'implacable intrigue. Autant dire que, de façon judicieuse, la traductrice, Françoise Bienfait, a choisi de prendre ses distances. Du coup, tout est dans le "presque" du titre...


Tout commence avec le personnage de Zerin, homme richissime et rentier un peu bizarre, domicilié dans un pays qu'on ne nomme jamais. Son dada, c'est la Roumanie. Une vraie passion! Autant dire que lorsqu'une famille de Roumains arrive dans sa petite ville, il va leur mettre le grappin dessus et se rendre indispensable à coups de cadeaux. Cela, toujours dans une ambiance purement amicale.

Celle-ci masque cependant une gradation implacable et fatale: donner des cadeaux tout le temps, ça va un moment, mais vient le moment de payer la facture. Dès lors, Zerin apparaît réellement comme le diable du roman, un diable moderne, capable de singer l'amour, d'acheter des sentiments, puis de demander à sa manière l'âme de l'un des personnages. Son pacte est implicite: il est signé dès lors que l'on accepte ses premiers cadeaux. Et dès lors, que ces cadeaux soient des bonbons, des vêtements ou des maisons, tout le monde est impliqué.

Une famille parfaite, c'est les quatre personnages de la famille roumaine: Flaviu, le père, Ionela, la mère, et leurs deux enfants. C'est aussi quatre regards portés sur Zerin. Il y a d'abord l'innocence des deux enfants, une innocence qu'on n'a pas toujours le cœur de briser: bien souvent, les personnages sont tentés de laisser s'installer le secret.

Il y a aussi les parents, d'abord un peu méfiants, puis accueillants. Pour Flaviu, cela va se traduire par une amitié mêlée de la reconnaissance du ventre. Quant à Ionela, c'est le trouble qui s'installe entre Zerin et elle, puis la passion. Et c'est là que le "presque" prend tout son sens: dans cette "famille parfaite", il y une pièce en trop. Tout le roman va consister à dire comment la dégager.

On relève que le chapitre 3 est le seul écrit à la première personne, le lecteur étant invité à se mettre dans la peau de Zerin. C'est aussi un chapitre qui se passe en Roumanie (en Transylvanie précisément: à Oradea), que Zerin découvre enfin – et le contact avec le réel s'avère plus rugueux que son savoir livresque sur ce pays. Cela, d'autant plus qu'il n'en parle pas la langue. Obstacle de convention: c'est comme si l'auteur avait voulu suggérer une sorte de paroi de verre, d'impossibilité d'entrer totalement dans une culture étrangère, même avec la meilleure volonté. S'il est diable, il ne sera jamais un vampire nommé Vlad l'Empaleur! Mais de l'autre côté, c'est dans ce chapitre que Zerin apparaît le plus proche du lecteur, avec des doutes surprenants pour quelqu'un qui se dit ami indéfectible de la famille.

Il n'y a guère de grands éclats dans "Une famille presque parfaite", et c'est là la force de ce roman. Ses phrases sobres donnent toute la place au caractère inexorable de ce qui se passe, les péripéties s'enchaînent avec une logique sans faille. Humour? C'est surtout le sens de l'absurde qui domine, avec cet étrange personnage de Zerin capable d'acheter les cœurs, rhéteur à la dialectique imparable, qui évolue dans une intrigue qui, après des pages aux airs trompeurs de feel-good book, n'évite pas l'inévitable tragique. Car tel est le monde réel.

Dimitris Sotakis, Une famille presque parfaite, Paris, Intervalles, 2019, traduction du grec par Françoise Bienfait.

Le site des Editions Intervalles.


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