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jeudi 18 octobre 2018

"Mort et vie d'Edith Stein", un livre sur Yann Moix

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Yann Moix – Je m'étais promis il y a quelques années de ne jamais lire Yann Moix, suite à ses sorties dans la presse au sujet de son livre "La Meute" (2010). Mais il y a prescription, et peut-être justice immanente: ce roman, où la Suisse est présentée en termes peu amènes si j'en crois les extraits que j'ai lus, s'est mal vendu. Du coup, j'ai finalement souhaité voir quand même ce que cet écrivain avait dans le ventre. Cela, avec "Mort et vie d'Edith Stein": un sujet ambitieux, un livre court, paru quant à lui en janvier 2008. A priori, c'est idéal pour entrer dans l'œuvre d'un tel écrivain.

Face à l'immensité du sujet, quel style?
Dès le départ, on est capté par la personnalité immense de... Yann Moix. Celle-ci s'exprime par le biais d'un style bien à lui, extrêmement travaillé. Il y a en particulier ce mot isolé qui fait figure d'incipit: "Amour.". Amour de l'auteur pour son sujet peut-être? Amour d'Edith Stein, athée devenue féministe puis religieuse, pour Dieu et pour les hommes, on le verra plus tard? Un peu de tout ça. Et peut-être aussi l'amour du dieu des juifs et des chrétiens.

Cette musique haletante, brisée, vient plus tard s'enrichir d'un procédé que l'auteur utilise à l'envi: le deux-points pour mettre un mot en évidence. Sans qu'on sache toujours très bien pourquoi, même après réflexion. L'auteur lui-même a du mal à ne pas parler de lui: "Elle aurait pu voir Podium!", relève-t-il (p. 22), évoquant une des bergères de Fatima, décédée en 2005. Après avoir littéralement vu la Vierge à plusieurs reprises, euh...

On peut enfin regretter certains traits d'oralité, peu judicieux ici, voire certaines formulations sujettes à caution: "Son visage est (assez) joli", lit-on ainsi (p. 40), dans une soudaine prise de distance malvenue, mise en évidence par ce "assez" placé entre parenthèses. Fallait-il rabaisser ainsi son sujet?

Une conception stéréotypée de la sainteté
Toute la première partie est consacrée à la relation de la vie d'Edith Stein, et l'on sent chez l'auteur une véritable empathie pour son sujet, empathie sans doute liée au propre parcours de l'écrivain. Celui-ci insiste lourdement sur le fait qu'il va parler d'une sainte d'aujourd'hui, suggérant à demi-mot qu'on ne canonise plus aujourd'hui, ou que les grands saints sont hommes et femmes du passé – et accessoirement que "sa" sainte est mieux que ceux de la tradition.

Dommage: il suffit d'ouvrir le journal pour savoir qu'aujourd'hui encore, Rome béatifie et canonise à tour de bras des gens qui ont été des exemples, à un échelon local (je pense à Marguerite Bays, dans mon coin) ou international (Jean Paul II). Et de se souvenir que la Toussaint est l'occasion de célébrer ces saints anonymes, que l'Eglise n'a pas distingués, mais qui ont une place dans le cœur de leurs proches. Des gens comme vous et moi, en somme: aujourd'hui encore, les saints sont partout. Edith Piaf elle-même, d'ailleurs... Vivants – et cela, l'écrivain le relève justement.

Mort et vie?
Intéressante est précisément l'inversion de la formule convenue "vie et mort", dès le titre. Intéressante et judicieuse: l'auteur brouille adroitement les pistes, suggérant qu'Edith Stein n'aura jamais été plus vivante qu'après sa mort. Un brouillage qu'on identifie dès les premières pages de "Mort et vie d'Edith Stein": "La vie d'Edith Stein se raconte au présent, même si elle est "morte" en: 1942.", lit-on. Des guillemets, une envie de dire au présent, comme si Edith Stein était devenue intemporelle. Tout est là!

Et dès lors qu'est dite la fin tragique d'Edith Stein à Auschwitz, l'auteur part dans une réflexion sur le peuple juif et Israël, son temps et son espace, sa spécificité. Il est également question de Saint Paul là-dedans... et face à toutes ces réflexions, il est permis au lecteur sans prétention de se demander si Edith Stein est encore là.

Des citations en pagaille
On l'a relevé, l'écrivain fait montre dans "Mort et vie d'Edith Stein" d'un style bien à lui, d'un style qui s'impose. A cette écriture travaillée viennent s'ajouter une myriade de citations. Des citations d'Edith Stein, dont l'auteur fait entendre la voix au début de la plupart des trente-six chapitres courts qui composent ce livre. L'auteur cite également Aldous Huxley, Karl Marx et Georg Lichtenberg en exergue, pour donner l'ambiance. Et surtout, il clôt chacun de ses chapitres par des phrases frappantes qui ont tout l'air de punchlines, d'invitations adressées au lecteur à méditer ce qui a été lu.

Styliste affirmé jouant avec des éléments tape-à-l'œil, Yann Moix est donc bien là dans "Mort et vie d'Edith Stein", au moins autant (et c'est le problème) qu'Edith Stein elle-même. C'est d'autant plus regrettable qu'on comprend malgré tout entre les lignes, et même davantage, que l'écrivain s'est sincèrement passionné pour son sujet – ce qui se traduit par une écriture rapide, urgente même. Mais en définitive, c'est surtout Yann Moix que l'on découvre dans ce livre qu'il consacre à Edith Stein. Un prétexte, Edith Stein? La question est ouverte...

Yann Moix, Mort et vie d'Edith Stein, Paris, Grasset, 2008.


6 commentaires:

  1. Ce livre a le mérite d'être intriguant, et la vie de cette femme a l'air intéressante ! J'y jetterais un oeil.

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    1. Je reviendrai peut-être un jour à Edith Stein; mais pas avec Yann Moix. Cela dit, ça vaut la peine d'essayer, surtout que cet ouvrage n'est pas très long.

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  2. J'ai cru qu'il y avait une erreur dans le titre de ton billet, mais non....

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    1. L'effet était voulu... ;-)
      Es-tu venue à la Fête du Livre le week-end dernier?

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  3. ah tiens, un brin mégalo? Le type m'intrigue et m'impressionne mais je ne suis jamais allée jusqu'à le lire… peur d'être déçue peut-être?

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    1. Sur ce coup-ci, oui, par l'omniprésence d'un style bien particulier et manifeste. Dans d'autres livres, sur d'autres sujets, peut-être que ça passe mieux. Mais il n'est pas sûr que je revienne tout de suite à Yann Moix.

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