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vendredi 19 octobre 2018

Un petit monde de poésie autour du cadre confiné d'un café

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Khosraw Mani – Les éditions Intervalles ont l'art de surprendre par des textes atypiques qu'on ne voit jamais venir. Ainsi, ce n'est pas tous les jours qu'on invite le lecteur francophone à lire un beau roman écrit par un écrivain afghan. Eh bien, par le biais de sa collection "Sémaphores", cette maison d'édition ose! C'est ainsi que l'on est invité à se plonger dans le petit mais beau livre de Khosraw Mani "Une petite vie". Petit livre comme une petite vie? Oui. Comme l'est celle des hommes, ou de leur imaginaire. Ou d'un décor réduit à sa plus grande modestie.


Un café? C'est là que tout se passe. Rien de plus. C'est un lieu d'hommes, relève-t-on au fil des premières pages de "Une petite vie". Un homme qui entre, d'autres qui sont là, et des interactions minimales entre eux, juste pour dire qu'on est là et se raconter des histoires. Si la présence féminine n'est pas physique, elle parvient à s'immiscer dans le café qui est au centre du récit par le biais de la musique. Cette musique est tantôt triste, tantôt joyeuse, et l'auteur les personnifie jusqu'à en faire deux personnages à part entière, allégoriques, enveloppants, sensuels. Voilà une trouvaille littéraire superbe, porteuse de sens!

Mais qu'on se rassure: l'intrigue fait aussi sa place à un véritable personnage féminin, qui entre certes en scène assez tardivement, mais va occuper une place certaine dans l'intrigue. On ne sait pas son nom, on en prendra soin cependant: elle a la fièvre. Cette fièvre participe d'un élément clé du roman: sa position sur la fragile ligne de crête entre la réalité et le rêve. Cela, tant il est vrai que la fièvre peut vous mener dans des états seconds...

Il est intéressant de relever que la femme n'est pas la seule à être un personnage pour ainsi dire anonyme, même si c'est le cas le plus flagrant. Les personnages masculins, en effet, sont affublés de noms qui sont autant de prétextes, de pieds de nez pour ainsi dire. Ainsi l'auteur nomme-t-il un homme "Monsieur Violet" sur la base d'une impression purement poétique. Plus évocateur encore, un autre personnage se nomme "Alef", un nom intéressant: première lettre de l'alphabet arabo-persan, elle ne se prononce pas en persan. Avoir un nom qui ne se prononce pas, est-ce encore être nommé?

Evanescents, presque inexistants, bercés par une musique qui n'est que sensations impalpables, ces personnages sont les acteurs d'une intrigue où la limite entre le rêve et le réel est poreuse. Cela, à telle enseigne que le lecteur est en droit de se demander si tout cela, jusqu'aux tensions qui terminent "Une petite vie", a bien existé. Sans doute, quelque part, puisque l'auteur, à petits pas, en tire un récit lent, presque statique, relaté en courts chapitres empreints d'une poésie de la récurrence. Il n'en faut pas moins pour dire le caractère fuyant du réel banal de quelques personnages anonymes, ordinaires comme nous tous, vivant leurs petites vies.

Khosraw Mani, Une petite vie, Paris, Intervalles, 2018. Traduit du dari par Khojesta Ebrahimi et Marie Vrinat-Nikolov.

Le site des éditions Intervalles.
Lu par Yves Mabon.

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