Pages
dimanche 27 avril 2025
Dimanche poétique 688: Charles Baudelaire
vendredi 25 avril 2025
Jeux de masques, viol et vengeance
Marquis Akira von Thulé – Mois après mois, la collection "Damned" poursuit ses publications avec une régularité d'horloge. La livraison du mois d'avril propose un nouveau titre du Marquis Akira von Thulé, "In Utero Veritas". Celui-ci fait suite à "Tengu Teach" et fait figure de match retour: on y retrouve Amon von Junte, professeur de langues mortes, désormais opposé à Gorgo von Göldin, qui veut sa vengeance envers celui qui l'a violée dans l'épisode précédent. Et engrossée, on l'apprend...
Mis en présence d'un professeur de lettres qui, désormais, sait comment manœuvrer ses super-pouvoirs, le lecteur va goûter à une écriture un peu particulière. Elle peut paraître curieusement emphatique ou amphigourique par moments; surtout, elle recèle de nombreuses références à l'Antiquité, surtout en début de livre, ce qui ne manque pas de surprendre dans un pastiche des romans populaires d'antan.
L'intrigue finit par placer Gorgo et Amon face à face, mais il faudra qu'Amon franchisse quelques obstacles hauts en couleur – sans oublier les questions de famille. Le lecteur sourit aux clins d'œil complotistes glissés çà et là: il s'agira de vaincre une franc-maçonnerie présentée sous un jour peu amène, associée à des sociétés plus ou moins secrètes et plus ou moins vraisemblables (l'auteur ose placer sur le même plan le Groupe Bilderberg, la coopérative Migros, le TCS et l'Opus Dei... (1)) pour mener le monde. Celle-ci constituera le dernier obstacle avant le combat ultime...
... mais plus haut, l'auteur sait installer des personnages hauts en couleur et parfaitement au taquet pour amuser le lecteur, dans un esprit incorrect voire gore. Leurs corps sont volontiers malmenés, en effet: on trouve au fil des pages un nain transgenre et, ma foi, plutôt excitant pour Amon, mais aussi une Gorgo qui, bien qu'enceinte, a décidé d'obturer son vagin en le cousant à l'aide d'une cravate. Et pour faire bonne fin, le motif même de l'avortement, qui traverse ce court roman, se trouve revisité d'une manière vigoureuse.
S'ils font partie de la quête d'Amon, les lieux de l'intrigue ne sont pas forcément précis au-delà de la localité allemande de Quedlinburg: ceux-ci relèvent assez vite d'un fantastique caricatural auquel le port d'un masque Tengu, déjà présent dans "Tengu Teach", permet d'accéder. A ce masque vient s'ajouter, pour le coup, une paire de geta, chaussures japonaises traditionnelles. Tout cela donne une dimension initiatique au roman, en résonance avec les sociétés plus ou moins secrètes qui y sont évoquées – dimension assez vite déconstruite d'ailleurs.
Une fois de plus, "Damned" propose un roman qui permet de passer un bout de journée de lecture divertissante et sans complexe. "In Utero Veritas" assume cependant une densité certaine, faite de références culturelles et d'une écriture qui privilégie les paragraphes compacts plutôt que les dialogues aérés.
Marquis Akira von Thulé, In Utero Veritas, Lausanne, Nouvelles Editions Humus, 2025. Traduit de l'allemand (avec l'accent romand) par S. A.
Le site des Nouvelles Editions Humus.
La couverture originale paraîtra bientôt ici... peut-être.
(1): Bonus: je laisse au lecteur de ce billet le soin d'imaginer pourquoi le Groupe Bilderberg, contrairement aux deux autres institutions mentionnées, n'a pas de site Internet à lui. Vous avez quatre heures.
dimanche 20 avril 2025
Joyeuses Pâques!
vendredi 18 avril 2025
Pour que Nadal et Federer reviennent sur terre...
Philippe Lamon – Après "Le Casting", l'écrivain Philippe Lamon continue de s'intéresser avec humour aux compétitions dérisoires de notre époque. Après les miss en pampers, le voilà qui s'aventure avec "Le Match du siècle" sur les courts de tennis suisses en mettant en scène Gilles Ganiez, un tennisman professionnel plutôt médiocre dans son genre: trentenaire, il stagne autour de la quatre centième place du classement ATP. Comment faire décoller sa carrière?
"Le Match du siècle" se dévore, et c'est un délice pour celui qui aime les romans aussi rapides que des échanges de balles sur un court en béton. L'auteur prend cependant tout le temps nécessaire pour décrire, d'une façon à la fois féroce et attendrissante, le statut de Gilles Ganiez: un sportif maudit depuis la deuxième génération, échouant à concrétiser avec une régularité appliquée au moment fatidique. Son nom même apparaît comme un aptonyme à l'envers. Casser des raquettes, c'est tout ce qu'il sait faire.
Mais Gilles Ganiez, c'est aussi une encyclopédie de l'histoire du tennis. Comme le roman est porté par ce personnage, l'auteur ne se gêne pas de relever mille et une anecdotes relatives à ce sport: à chaque fois, Gilles Ganiez est concerné et se reconnaît dans Lendl, Agassi, McEnroe et bien quelques autres. Un procédé? Il est permis de le penser. Mais celui-ci se place toujours au service de l'humour et rappelle qu'il ne suffit pas d'entasser les qualités des anciens virtuoses du tennis pour en faire un nouveau.
L'intrigue se noue assez tard dans le roman, au moment où un mécène méconnu invite Gilles Ganiez à jouer le match du siècle éponyme contre un autre joueur de niveau équivalent. Pour davantage de tension dramatique, l'auteur fait le choix de placer une rivalité préexistante entre les deux adversaires de ce match qui, dès lors, prend des allures peu orthodoxes. "Le Match du siècle" s'amuse à déconstruire, peu à peu, les codes de ce sport, le tennis, qu'on pourrait croire bien policé. Car au fil d'un match du siècle en forme de duel à trois aux règles soigneusement revisitées, quiz et alcool en sus, le sang va finalement couler...
Mettant aux prises deux tennismen que l'histoire du sport oubliera, l'auteur s'amuse, dans "Le Match du siècle", à rappeler quelques épisodes pas forcément glorieux des tennismen d'hier et d'aujourd'hui. Dès lors, "Le Match du siècle" apparaît comme la déconstruction burlesque d'un sport qu'on imagine sérieux, pétri de graves rituels mais marqué, pour ses tâcherons, par la recherche constante de financements: voilà une manière de ramener sur terre les Federer et les Nadal d'hier, d'aujourd'hui... et de demain.
Philippe Lamon, Le Match du siècle, Genève, Cousu Mouche, 2025.
Le site des éditions Cousu Mouche.
mardi 15 avril 2025
Le recul des ans, vu par la poésie et les arts visuels
dimanche 13 avril 2025
Dimanche poétique 687: Anna de Noailles
dimanche 6 avril 2025
Dimanche poétique 686: Tristan Corbière
mercredi 2 avril 2025
Quand le crime s'invite au théâtre
Bernard Chappuis – "Le Crime de la Divine" est indéniablement un roman policier littéraire, avec un fort tropisme théâtral. L'écrivain suisse Bernard Chappuis y explore la personnalité historique de Sarah Bernhardt, de retour au théâtre Kléber-Méleau de Lausanne sous la forme d'un personnage de théâtre appelé à côtoyer ses contemporains, tels Oscar Wilde, George Bernard Shaw, Arthur Conan Doyle ou Henry Irving. Tout commence lorsqu'un corbeau commence à écrire des lettres anonymes menaçantes à l'encontre de la trentaine de personnes qui vont rendre possible cette création théâtrale.
"Le Crime de la Divine" suit les détectives qui, mandatés par la comédienne qui joue Sarah Bernhardt, s'occupent de mener l'enquête. Regroupés au sein de l'agence Fell, les détectives sont pour le moins atypiques, à l'instar de Lilas Traymiro, spécialiste des crimes en chambre close façon Rouletabille ou de Julie Jeanneret, sa compagne, artiste peintre et hackeuse éthique. Et il faudra pas mal de culture générale et artistique pour trouver le fin mot d'une affaire marquée par un tableau mystérieux qui va conduire une enquêtrice à Venise. Cela, sans oublier un flair égal à celui de Sherlock Holmes – et les allusions à ce détective et à son univers, qui touche à la Suisse, sont nombreuses au fil des pages.
La description des lieux mêle avec adresse invention et réalisme. Si Venise est ainsi bien présente dans "Le Crime de la Divine", avec son déluge d'œuvres d'art, de beautés et de masques à décrypter, c'est dans une rue étroite d'un quartier inventé que se déroule l'une des péripéties inquiétantes de ce roman. Le théâtre Kléber-Méleau, en revanche, existe bel et bien à Lausanne, depuis de nombreuses années, et l'auteur en restitue une image fidèle – si mes souvenirs ne me trahissent pas: j'y suis allé à plusieurs reprises au temps où je préparais mon bac, ce qui date un peu. L'auteur va jusqu'à introduire dans sa narration un personnage qui existe réellement: Vanessa Lopez, médiatrice culturelle et guide au théâtre. Autant d'éléments réels qui confèrent de l'épaisseur à la représentation de ce lieu dans le roman et permettent au lecteur de s'y croire.
Jusqu'au dernier coup de... théâtre, le lecteur est invité à suivre une intrigue qui trouve ses réponses dans les références culturelles, essentiellement littéraires et picturales. Et il y a une indéniable jouissance à se plonger dans ces questionnements atypiques auxquels seules les œuvres d'art peuvent répondre. En complément de son roman, l'écrivain a jugé utile d'adjoindre un appendice et des dossiers thématiques où se trouvent les nombreuses références de créations littéraires, polars inclus, abordant les mêmes thématiques que "Le Crime de la Divine": Sarah Bernhardt, les beaux-arts, et même les chats. Si elles ont servi à l'auteur, gageons que ces références ne manqueront pas de titiller la curiosité des lecteurs. Et, subséquemment, d'allonger leur liste à lire...
Bernard Chappuis, Le Crime de la Divine, Lausanne, Favre, 2025.
Le site des éditions Favre.