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mardi 2 juillet 2024

Quand le métro réveille le monstre qui sommeille en chacun de nous

Reuben Reeves – Lancée par l'éditeur suisse Lubric-à-Brac en 2017, la collection "Pulpe" a l'ambition d'explorer les "mauvais genres" dans ce qu'ils ont de plus inavouable: gore, porno, zombies, western, polar et pire si entente. Tel est le credo proclamé par Patrick Morier-Genoud dans la préface du premier numéro de cette série: "Tripes et boyaux dans le métro". Ne recherchez pas le nom de l'auteur, Reuben Reeves, sur Internet: il paraît qu'il est inconnu du grand public et qu'il le restera, toujours selon le préfacier. Tout au plus sait-on qu'il n'est pas francophone! Quant au traducteur, tout aussi anonyme, force est de relever qu'il a un petit accent welche, voire vaudois: citez-moi un écrivain yankee qui anime un personnage nommé Parmelin, fût-il mort et éparpillé façon puzzle...

Venons-en à "Tripes et boyaux dans le métro". C'est une sorte de huis clos bien dègue, mettant en scène Rick, un jeune cadre dynamique soudain déchu, condamné au statut de SDF logé dans une station de métro où se passe l'essentiel de l'intrigue, assortie de son distributeur de snacks (en panne, non mais vous croyez quoi?). Le bonhomme se nourrit de vinasse pas chère et de pas grand-chose d'autre. Résultat: parfaitement dans l'esprit "gore" choisi pour ce petit livre, le bonhomme est mû par de constantes pulsions émétiques. On le devine caractériel par ailleurs: la narration est ponctuée par ses répliques, pour le moins fleuries. C'est là que se retrouve l'essentiel des gros mots d'un roman à l'écriture par ailleurs classique, qui fait ainsi contraste avec les horreurs narrées.

Rick évolue en effet dans sa station de métro, jouant au chat et à la souris avec les flics dans un esprit libertaire qu'il a dû acquérir bien rapidement. Il s'y passe des trucs bizarres, qu'il découvre peu à peu, dans un climat qui apparaît soudain peu sécure, pour ne pas dire franchement dangereux. Le premier risque? Un métro qui arrive alors que Rick s'aventure dans les boyaux de ce mode de transport – tiens, comme les boyaux d'un corps humain, ce qui suggère que le système du métro peut être vu comme un vaste organisme vivant. Mais l'auteur sait organiser un crescendo qui montre qu'il y a bien pire que cela. Ce pire, le lecteur le découvre, à la fois dégoûté et fasciné (c'est la loi du genre), face à la description factuelle mais copieuse avec laquelle l'auteur décrit un monde de corps éventrés et de viscères dégoulinants. Il y en a partout, en particulier sur les quais et dans une rame de métro arrêtée en pleine voie... Rick aura à se défendre, et le lecteur, avec lui, va se demander d'où viennent toutes ces abominations sur lesquelles Rick glisse.

Peuplé de monstres non décrits (et que le lecteur va imaginer à sa guise, projetant ses propres cauchemars, c'est astucieux!) que Rick, le personnage principal, chasse avec tous les moyens à sa disposition (l'auteur n'est pas chien: il lui trouve même un flingue...), "Tripes et boyaux dans le métro" apparaît comme un divertissement gore de la meilleure eau, implacablement brutal, rapidement lu et propre à remuer les viscères de plus d'un lecteur... ou d'une lectrice. Adroitement construit en crescendo, il réserve aux dernières pages l'honneur d'un ultime retournement de situation, qui confirme, s'il faut trouver un sens à ce petit livre, qu'en tout homme, même le plus résistant, même le plus propre sur lui, sommeille un monstre que certaines circonstances révèlent immanquablement.

Reuben Reeves, Tripes et boyaux dans le métro, Lausanne, Lubric-à-brac, 2017.

Le site des éditions Lubric-à-brac – qui fait figure d'ancêtre de la collection "Damned".

2 commentaires:

  1. ça a l'air particulier mais pourquoi pas?!

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    1. En effet, ça délasse! Mais il faut aimer les ambiances bien saignantes où l'on a constamment les pieds dans les viscères, avec un soupçon de pétoche pour faire bon poids. Le genre "gore" n'est pas tellement à la mode, me semble-t-il; du coup, c'est le moment de le découvrir. Bonne lecture à toi...!

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