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lundi 15 juillet 2024

Pendue pour l'Histoire: Ruth Ellis par Didier Decoin

Didier Decoin – S'il assume absolument son caractère de roman, "La pendue de Londres" relate les destins croisés de deux personnes qui ont réellement existé: Albert Pierrepoint, bourreau anglais, et Ruth Ellis, dernière femme condamnée à la peine de mort puis exécutée au Royaume-Uni. Didier Decoin réussit parfaitement à s'immiscer dans les âmes de ces deux personnages, au fil d'un livre d'un réalisme confondant.

On est d'abord ébloui, bien sûr, par la manière dont l'écrivain se glisse, s'immerge même, dans la peau d'un personnage au métier rare et atypique, contraint aussi de mener une double vie: comme le métier d'exécuteur ne nourrit pas son homme, Albert Pierrepoint gère avec son épouse une épicerie, puis un pub. Le métier d'exécuteur? Il le cache longtemps à sa femme, mais il l'exploite, non sans retenue quand même, comme patron de bistrot. C'est qu'Albert Pierrepoint est devenu célèbre pour avoir organisé et réalisé l'exécution de treize criminels de guerre nazis en une seule journée. C'est précisément au moment où cette notoriété est révélée dans le roman que le lecteur apprend à son tour le nom de celui qui est son narrateur.

Le lecteur appréciera à sa manière la conscience professionnelle dont le narrateur fait étalage: il parle de son métier d'exécuteur de façon parfaitement crédible et concernée, comme vous et moi parlerions de nos professions respectives, avec leurs grandeurs et leurs servitudes, voire leurs aspects techniques et psychologiques. Et si ça passionne à travers la voix d'Albert Pierrepoint, c'est peut-être aussi parce que l'auteur flatte, mine de rien, le goût du lecteur pour l'inconnu et le glaçant. Il ne manque pas, du reste, de placer quelques personnages secondaires autour d'Albert Pierrepoint – des clients du pub, tiens! – pour lui poser, à notre place (on ne va pas se mentir...), les questions que nous ne manquons pas de nous poser.

Le portrait que l'écrivain dresse de Ruth Ellis n'est pas moins précis, mais porte une note de dénonciation sociale marquée, d'autant plus frappante qu'elle est surtout descriptive. Enfant marquée par l'inceste à l'instar de sa grande sœur, Ruth prend conscience de sa capacité de séduction, en joue à l'envi, mais tombe invariablement sur des hommes qui, derrière leurs beaux habits et leur fortune, sont des cogneurs et des alcooliques. Modèle photo puis prostituée de haut vol, Ruth vivra un destin de femme entretenue qui lui donnera l'illusion, jusqu'au geste fatal, de côtoyer le beau monde, voire d'en faire partie. Si elle est condamnée à mort, en effet, c'est parce qu'elle a assassiné par jalousie son amant non exclusif, un pilote d'essai, David Blakely.

Crime passionnel? C'est ce que le lecteur pourra juger, même si le terme n'est plus guère usité aujourd'hui. L'auteur préfère développer entre les lignes l'hypothèse que Ruth Ellis, en assumant avec ses avocats navrés une défense qui ne peut la mener qu'à la corde, a voulu ainsi se donner la mort, par procuration. L'épilogue donne quelques indications sur la suite qu'a connue l'exécution de Ruth Ellis: Albert Pierrepoint démissionne de sa charge d'exécuteur (mais est-ce pour des raisons financières ou parce qu'Albert Pierrepoint éprouve des réticences à exécuter des femmes, au moins depuis la pendaison de l'Aufseherin Irma Grese, collaboratrice zélée des camps de la mort nazis, le 13 décembre 1945? L'auteur ne tranche pas), et la peine de mort sera suspendue puis abolie au Royaume-Uni un peu plus de dix ans après l'exécution de Ruth Ellis.

Il sera certes question de la beauté ou non des femmes exécutées (et Ruth Ellis, blonde peroxydée qui tient à son rouge à lèvres, sera belle même à l'heure de son exécution), mais aussi, et ça peut avoir du sens, de l'haleine des uns et des autres, chargée d'alcool ou négligée au matin de l'exécution, tout au long de ce livre qui met en scène une femme et un homme que le hasard mettra en présence. Plutôt que de juger, il décrit, dessine avec une exactitude confondante mais non dénuée d'empathie ce qui peut se passer dans l'esprit de deux personnages intégrés dans une société dont ils sont à la fois acteurs et victimes – des rouages, simplement, ou des humains qui tentent de vivre. Et joue en artiste avisé avec une certaine fascination du lectorat pour la mort pour relater un épisode historique déterminant.

Didier Decoin, La pendue de Londres, Paris, Grasset & Fasquelle, 2013/Le Livre de Poche, 2017.

Le site des éditions Grasset, celui du Livre de Poche.

Ils l'ont aussi lu: Alex BernardiniAltea, A propos de livresCannetille, Froggy's DelightMes belles lecturesNephStemilou.

2 commentaires:

  1. Merci pour cette chronique qui intrigue et donne envie de découvrir l'histoire de cette femme.

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    1. Bonjour Gwen, merci pour ton message! Oui, c'est un épisode qui mérite d'être connu, avec deux personnages passionnants – la femme ne l'est pas moins que l'homme, même si chacun soulève d'autres questionnements. A découvrir, d'autant plus que c'est magnifiquement écrit. Bonne découverte!

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