Pages

vendredi 22 mars 2024

"La Disgrâce", ou le crépuscule des nobles... et de quelques autres

Sébastien G. Couture et Michaël Perruchoud – Longtemps attendu, le quatrième et dernier volume de la saga de Minnetoy-Corbières vient de paraître. "La Disgrâce" relate, comme son titre l'indique, la fin sans gloire d'un petit monde, tout en ouvrant la porte à une autre ère que certains personnages feront vivre à leur manière – c'est ce que dit l'épilogue. Mais reprenons les choses au début...

En bons feuilletonistes, les auteurs choisissent de faire ressusciter l'un de leurs personnages clés, mort dans un épisode antérieur. Probable? L'intrigue balance entre l'explication rationnelle, qui veut que le baron Robert du Rang Dévaux soit remplacé par un imposteur, et l'explication religieuse, qui veut qu'après tout, si un si grand seigneur a pu ressusciter, c'est qu'il peut reproduire un tel miracle: il n'y a qu'à le tuer à nouveau. Ces explications paraissent parfaitement plausibles dans un univers médiéval où le christianisme est consubstantiel de la vie quotidienne. 

D'une guéguerre à l'autre, "La Disgrâce" fait tomber quelques masques, révélant les traîtres et les manœuvriers, et paraît laisser la place à une équipe de personnages (pas) plus saine qu'avant, autour de Fanchon la fille de salle, de Camilla Clotilda Capodistria qui va épurer son duché et de quelques personnages secondaires. Mais comme il se doit dans un bon roman humoristique ayant un Moyen Âge de fantaisie pour contexte, cela n'ira pas sans moult duels et combats, éventuellement arrosés de bonne vinasse comme d'infâme piquette. On le sait en effet: les personnages du cycle de Minnetoy-Corbières sont de grandes gueules, porteuses de valeurs viriles fortement dopées à l'alcool, plus encore que de vrais héros.

Et justement: par l'humour de chaque instant, le virilisme des personnages est remis en question, les auteurs mesurant la distance qu'il peut y avoir entre ce qui est proclamé haut et fort par les personnages concernés et leurs actions réelles, marquées parfois par un pragmatisme qui n'est qu'un autre nom de la peur. Cette mise en question est soulignée par la mise en scène d'une manifestation féministe, anachronique mais parfaitement pertinente. Si modeste qu'elle soit, la revendication est embarrassante pour des personnages portés sur la bagatelle autant que sur la picole: OK pour vous enivrer entre hommes, mais pas pour tromper vos épouses tels des gorets!

C'est ainsi: derrière ce petit monde de (plus ou moins) nobles énergumènes portés par la boisson autant que par leurs mules et destriers (pas toujours sobres non plus), un chouïa de sagesse apparaît. Celle-ci se manifeste entre autres lors de discussions entre hommes sur la manière d'élever Gamin, qui reste jusqu'au bout un enfant taiseux, porté peut-être sur les choses de l'esprit. Certains personnages semblent même prendre leurs distances avec les libations qui les ont fait carburer jusque-là.

Derrière les péripéties donc, "La Disgrâce" relate, sur un ton faussement archaïque qui fait rire et sourire, la fin d'un monde. Si l'ambiance est crépusculaire, le ton ne se départit jamais de l'humour délirant, parfois vraiment finaud (qui aurait pensé que Cédère est un abbé? Ce ne sera jamais franchement dit ainsi, au lecteur de mettre les pièces dans le bon ordre...) qui caractérise cette vaste geste écrite à quatre mains. Et c'est avec élégance que les auteurs indiquent, dans l'épilogue, qu'il faut fermer la porte: certes, Fanchon, Alphagor Bourbier de Montcon, Gobert Luret, Eustèbe Martingale et quelques autres vont continuer à vivre. Mais leur destinée est une autre histoire.

Sébastien G. Couture et Michaël Perruchoud, La Disgrâce, Genève, Cousu Mouche, 2024.

Le site des éditions Cousu Mouche.

2 commentaires:

  1. je ne sais pas... si tu me donnes envie de lire ou de m'abstenir, commentaire efficace en tout cas

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour Axelle, merci pour ton commentaire!
      Ce livre est le quatrième d'une saga qui assume son humour potache, donc à découvrir pour rire, même si c'est parfois un peu leste. Mais dans l'idéal, autant commencer par le premier volume, "Ceux de Corneauduc". Bonne lecture à toi, et bon dimanche!

      Supprimer

Allez-y, lâchez-vous!