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mardi 23 janvier 2024

William Marmaduke Thompson: le regard en coin d'un major anglais sur ces chers Français

Pierre Daninos – "Qui aime bien, châtie bien": en se mettant dans la peau d'un Anglais à la riche carrière militaire du côté des Indes, l'écrivain et humoriste français Pierre Daninos (1913-2005) s'offre le plaisir d'observer à distance ses compatriotes, reposant, après Montesquieu dans ses "Lettres Persanes", la question: "Comment peut-on être Français?". Tel est le propos de son court ouvrage humoristique, "Les Carnets du major Thompson". 

Il finit par devenir attachant, à force de considérations, ce brave major William Marmaduke Thompson. Au fil de chapitres qui sont autant de chroniques, originellement destinées au journal "Le Figaro", l'auteur dresse de lui le portrait d'un personnage sûr de lui, Anglais jusqu'au bout des moustaches, observant le monde avec le regard paternaliste et forcément décalé d'un ressortissant d'un empire colonial – nous sommes au début des années 1950. 

Naïf? Il l'est, et c'est pour cela qu'on l'aime, mais faussement: il comprend très bien qu'il y a bien plus que la Manche pour séparer les mentalités française et anglaise. Et c'est avec une fausse ingénuité que le major, c'est-à-dire le narrateur, relève des divergences inattendues. Il se révèle amusé ou dérouté, mais toujours distancé – de quoi conférer un ton ironique et cocasse à ce petit livre. 

Cet aspect cocasse est encore renforcé par le jeu, improvisé par l'auteur, des collaborations avec l'entourage du fictif Thompson: il y aura des notes de traduction exigées d'un major qui considère que seule la langue anglaise peut rendre justement telle situation, ou rappelant le choc (heureusement amorti depuis) des cultures au détour du rappel d'anciens temps, marqués par la guerre de Cent ans ou l'aventure napoléonienne. 

Soit dit en passant, le traducteur (fictif) excelle lorsqu'il s'agit de ciseler des phrases drôles mine de rien, dont l'humour peut naître de la collision inattendue entre des mots que tout pouvait rapprocher... et qui s'entrechoquent effectivement. Ce traducteur, on l'a compris, n'est autre que l'auteur – un francophone qui connaît sa langue française sur le bout des doigts et se plaît à s'en amuser.

Quant à l'observation des Français proprement dite, celle proposée par le major Thompson repose sur le motif récurrent du paradoxe, annoncé dès le début du livre (chapitre I: "Qu'est-ce qu'un Français?"). Ce premier chapitre s'avère programmatique: avec une régularité de métronome, l'auteur place les Français face à leurs contradictions. Tout y passe: la politique, la galanterie (un peu datée dans sa conception: non, on ne suit plus une fille dans la rue, même en cas de coup de cœur sincère!), l'automobile, le bricolage et les dimanches, les circonvolutions de la langue française, et même le Tour de France. 

Réciproquement, il arrive que le major Thompson, riche de son expérience française, observe son pays natal avec un regard empreint de sentiments mêlés: si les Français sont gens d'amour, les Anglais sont gens de sport, et là, le cœur de l'officier balance même si, en fin de compte, l'Anglais reste pour lui supérieur en toutes choses – jusqu'à la caricature, quitte à glisser un peu de mauvaise foi dans le propos. Mais voilà: dans le dernier chapitre, "Le pays du miracle", ce cher major se surprend à se sentir... assimilé, ayant intégré les qualités de cœur comme les travers aimables qu'il a prêtés aux Français auprès desquels il vit.

Porté par une écriture distinguée qui joue à saute-Manche avec virtuosité et se prête volontiers au jeu de la comparaison souriante, "Les Carnets du major Thompson" amuse aujourd'hui encore, et il ne fait aucun doute que plus d'un Français, ou d'une Française, s'y reconnaîtra, même soixante-dix ans après, et même en assumant la nostalgie d'un temps révolu. 

Pierre Daninos, Les Carnets du major Thompson, Paris, Le Livre de Poche, 1988/Hachette, 1954.

Défi 2024 sera classique aussi.

4 commentaires:

  1. Lu il y a très longtemps. Si je ne me souviens pas des détails, je me rappelle un livre amusant effectivement !

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    1. Bonjour Nathalie, en effet, un bon divertissement entre deux lectures plus roboratives! Je n'ai pas boudé mon plaisir sur ce coup-là.
      Il y aura d'autres participations de ma part au défi des classiques; donc à bientôt!
      Bonne semaine à toi!

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  2. Je ne connaissais pas mais je le note sans hésiter. J'aime beaucoup ce genre de livres cocasses dans lesquels on s'amuse de différences culturelles. Merci pour cette découverte que je suis quasi certaine d'apprécier.

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    1. Bonjour Audrey! Oui, c'est un classique de l'humour, à redécouvrir avec délices. C'est parfois un peu rétro, mais ça fonctionne toujours!
      Bonne fin de semaine à toi!

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