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vendredi 5 janvier 2024

Tout un monde en une phrase rêvée

Lionel Bourg – C'est comme une recherche de l'absolu, comme on peut en avoir dans une enfance portée par une certaine naïveté: "Ce serait du moins quelque chose", court récit de l'écrivain Lionel Bourg, commence par cette idée a priori étrange qu'a un enfant, l'auteur lui-même mis en scène: rêver d'une phrase interminable et de ses méandres sensuels, porteurs d'un supplément de conscience, et prendre des notes pour la construire.  En toile de fond: la famille, les expériences, un frère mort noyé.

"Ce serait du moins quelque chose" ne tente pas de relever formellement le défi de cette phrase sans fin: son écriture est celle d'une prose empreinte d'une poésie imagée de tous les instants, soucieuse cependant de préserver une tonalité naturelle. Indissociable de cette poésie, le monde du rêve est omniprésent dans ce récit, avec ses peurs (les monstres, le marchand de sable) et la difficulté même à trouver le sommeil, propice à l'écoute de ce que l'on ne remarque pas autrement mais nourrit l'imaginaire.

C'est ainsi, peu à peu, que les souvenirs d'enfance renaissent sous la plume de l'auteur, nourris et éclairés peu à peu par l'apport d'écrivains tels que Faulkner ou Proust – sans oublier Claude Simon, auteur d'une exergue qui reflète, en quelques mots, la synthèse du métier d'écrivain. Et l'idée même d'une phrase absolue fait son chemin, apparaissant çà et là dans le récit. Elle devient même lieu de noyade: si le frère du poète s'est noyé dans l'eau, le poète se noiera dans sa phrase immense, nourrie encore d'une expérience mystique à La Chaise-Dieu.

Et en fin d'ouvrage, le titre s'explique par la simple et impérieuse volonté de l'auteur de, modestement, laisser quelque chose plutôt que rien au sujet des quelques éclats d'enfance qu'il rappelle. Dense, imagée, transfigurée, la langue de l'écrivain sonne et résonne, flatte les sens, porteuse de la belle genèse de sa vocation de poète. Et les teintes de l'écrit trouvent un écho dans les illustrations vivement colorées et faussement classiques de l'illustratrice de ce livre, Cristine Guinamand.

Lionel Bourg, Ce serait du moins quelque chose, Saint-Etienne, Le Réalgar, 2014. Illustrations de Cristine Guinamand.

Le site des éditions Le Réalgar.

2 commentaires:

  1. Je suis tentée de lire cet ouvrage car le concept d'une phrase sans fin m'intrigue. Et le dessin en première de couverture est superbe : symbolique et décalé comme je les préfère! Je prends note !

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    1. En effet, Aïkà, c'est un bien beau livre, même s'il est court: c'est de la poésie à l'état pur. Foncez! De plus, c'est une "marque de fabrique" de l'éditeur que de rapprocher un écrivain et un illustrateur, ce qui donne de très beaux livres. Je vous souhaite une semaine merveilleuse!

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