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lundi 27 novembre 2023

Make America Slim Again!

Lana Calzolari – Elle est à la fois sexy et repoussante, la personne étique aux couleurs états-uniennes représentée sur la couverture de "American Megalo", dernier roman de l'écrivaine genevoise Lana Scalzolari. On y reconnaît la femme sans âge située au cœur de l'intrigue: Katherine, une promotrice immobilière richissime et sans scrupules, trumpiste à fond, désireuse de devenir la mairesse de sa bonne et calme ville de Feodora et de faire maigrir l'Amérique. Mais tout ne va pas se passer comme prévu au fil de ce roman dodu (599 pages, sans temps mort!), drôle et rosse. Choix judicieux de la romancière: c'est dans la famille de Katherine que se trouve le grain de sable qui va tout faire dérailler, en la personne de sa belle-fille Leonie, persuadée que Katherine a tué sa mère.

L'ambiance est donc à la vengeance, selon un schéma bien huilé: Leonie se retrouve séquestrée avec son père dans le manoir de Katherine, puis décide de faire son beurre de cette situation a priori peu sympathique. Le manoir lui-même subvertit la notion de locus amoenus, typique de certains romans: il est aménagé en souterrain, il est difficile d'y échapper sans complicités et la surveillance, omniprésente, a de quoi faire penser aux flicages généralisés dont certains décideurs politiques de notre monde rêvent aujourd'hui. Souterrain, enfin, ce manoir est invisible depuis la surface terrestre, ce qui constitue la source de quelques gags récurrents.

Magnifique personnage que Leonie, d'ailleurs, jeune femme charismatique qui n'a pas froid aux yeux et laisse libre cours à sa fibre artistique en créant des toiles horribles que certains adorent, à commencer par le maire sortant de Feodora. Oui: il lui faudra quelques alliés pour avancer dans son projet de revanche, et elle les trouvera sur le terrain, avec quelques collaborateurs de Katherine. L'écrivaine réussit à leur donner une vraie personnalité, quitte à jouer les paradoxes et les stéréotypes familiers: nous aurons ainsi affaire à un responsable de la sécurité un peu trop gentil, à un majordome au flegme classique, à un directeur de la communication à l'apparence impeccable et à quelques mafieux pas doués. Les sentiments vont s'en mêler...

L'auteure confère, et c'est une force dans un roman qui se déroule dans un pays qui aime à se présenter comme celui de tous les possibles, un supplément d'intérêt à cette histoire de revanche familiale en donnant à voir l'impact que Leonie aura sur ses alliés: en ne montrant aucune crainte, elle les incite à se prendre en main à leur tour, à s'émanciper – on voudrait même dire "s'empouvoirer", afin de reprendre leur vie en main: tous ont leur zone d'ombre et Katherine, pleine aux as et manipulatrice on le sait, sait en jouer pour les fidéliser à leurs postes. Troublante voire fascinante aux yeux des hommes qui l'entourent (et l'auteure recrée parfaitement ces sentiments masculins mêlés, sans adopter une position jugeante), Leonie elle-même est saisie par l'auteure à cet âge où l'on peut grandir et mûrir beaucoup, à la sortie de l'adolescence. Et c'est aussi captivant de la voir évoluer et diriger ses troupes au fil d'intrigues malicieusement menées qui finiront par miner la superbe de Katherine.

Un tel roman ne saurait passer, bien sûr, à côté de thématiques aussi actuelles que l'obésité des Américains, volontiers caricaturée – une caricature qui sert d'introduction à quelques questionnements de bon sens sur le rapport des uns et des autres à la nourriture, entre craquages monstrueux (certaines descriptions de bouffe dégoulinent de gras et de sucres, l'auteure ne ménage pas ses effets!) et régimes alimentaires déprimants à force d'être sévères. On peut même imaginer que ses fluctuations de poids pourraient trahir une Leonie qui a choisi de jouer double jeu, baladée d'une situation à l'autre, entre autres au gré d'un enlèvement à la fois réussi et foireux (oui, c'est possible!). 

Chaque personnage aura évolué au terme d'"American Megalo", un roman qui rappelle que si en Amérique, tout est un peu plus grand (et gros, et cela ne concerne pas seulement les personnages: certains virages de l'intrigue sont énormes aussi, et ça roule quand même!), cela ne va pas sans quelques inconvénients que le lecteur découvre avec délices au fil de pages où l'auteure manie habilement l'outrance. On rit jaune, on rit noir, on se délecte. Et en lisant la dernière phrase du roman, on se demande si tout ce petit monde ne pourrait pas repartir pour un tour...

Lana Calzolari, American Megalo, Genève, Good Heidi Production, 2022. Illustration de couverture par Cédric Marendaz.

Le site de Good Heidi Production.


2 commentaires:

  1. Une lecture qui permet de rire jaune et noir en même temps ? Chic !

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    1. Bonsoir Alex! Oui, il y a tout ça là-dedans! C'est riche et c'est drôle à la fois, un gros livre à découvrir. Je t'en souhaite une bonne lecture!
      Amicales salutations, bonne fin de semaine à toi!

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