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lundi 31 juillet 2023

Harcèlement et sang, la terreur d'un bal selon Stephen King

Stephen King – Cela fait longtemps que j'avais envie de me replonger dans un bon gros Stephen King, et je m'en suis ouvert sur plus d'un blog ces dernières années (entre autres chez l'amie Lili Galipette...). Et voilà: cette période un peu creuse entre fin juillet et début août aura été pour moi l'occasion de lire "Carrie", le tout premier roman de l'écrivain, sorti en 1974 – mon année de naissance, tiens. Voici donc quelques impressions! Celles-ci sont peut-être teintées du (bon) souvenir que je conserve du film que Brian De Palma a tiré de ce livre.

Tout commence donc dans les vestiaires des filles. "Arf, arf!", pourraient dire ceux qui, au moment de la préadolescence, auront eu envie de mater (allez, les gars, avouez...). Mais rien qu'en montrant une scène originelle terrible, avec cette Carrie qui a ses premières règles sous la douche et s'en trouve harcelée, l'auteur les renvoie à leurs fantasmes malsains. Aucune complaisance là-dedans: il s'agit de harcèlement scolaire, façon hard, à une époque où le mot n'existait pas. Et s'il fallait démontrer la modernité de l'écrivain, celle-ci passe par le fait que, à une époque où ce genre de truc était généralement minimisé, les autorités de l'école prennent au sérieux le cas de Carrie, tout en s'avérant assez démunies: les retenues ou l'interdiction de bal pour les meneuses s'avèrent une punition dérisoire.

Réciproquement, force est de constater que Carrie White, victime de harcèlement, n'a rien d'un personnage sympathique. On peut la voir comme une victime, mais on a fait plus sexy dans le genre que cette fillasse que l'auteur ne prend même pas la peine de rendre jolie (le cinéaste le fera... en mettant en scène l'actrice Sissy Spacek, plus charismatique que le personnage décrit par Stephen King) ou sympathique. En somme, l'auteur décrit avec Carrie, jusqu'à l'extrême, l'exemple de la cible de harcèlement scolaire à seize ans: prisonnière d'une mère bigote à l'extrême, peu intégrée à l'école, considérée comme bizarre. Et antipathique, en plus, même si on la sent désireuse de tracer sa propre voie et de "tuer la mère", à défaut du père (ce qui n'est pas forcément plus facile).

L'écrivain crée toute une brochette de personnages d'adolescents détestables: semi-débiles qui se laissent embarquer dans la première combine venue, meuf qui se laisse emporter par la meute mais qui regrette, fille à papa immature qui croit à la toute-puissance de son avocat de papa (en général, les enfants comprennent assez vite que leur papa ne peut pas tout et que pour certains trucs, il vaut mieux qu'ils se débrouillent tout seuls, ce qui forge leur caractère). La vaste scène finale du bal de fin d'année, couronnée par un bain de sang de porc sur la tête du roi et de la reine de la soirée, entretient l'ambiguïté de ce point de vue: le lecteur a toujours le droit de se demander quelle est, entre moquerie extrême, malaise et nervosité, la nature du rire qui éclate lorsque Carrie se ramasse quelques litres de sang de porc sur la tête, comme son cavalier, tué parce qu'en plus, il s'est pris le bidon sur la tête.

Côté focalisation, la lecture de "Carrie" est guidée par un certain nombre d'interventions incidentes: citations de journaux ou de presse scientifique, témoignages des personnes présentes au bal fatal. De son aveu même, l'auteur a fait de nécessité vertu: cette démarche lui a permis de donner du corps à une nouvelle intéressante mais un peu courte, et de lui conférer l'épaisseur d'un roman. Ces interventions évoquent aussi, avec insistance, la possibilité de la télékinésie (froidement abrégée TK), ou art de déplacer les objets sans contact. Ce motif fait glisser "Carrie" dans le genre fantastique, en donnant la préférence à une interprétation fantastique des faits terribles que l'auteur décrit. Il convient aussi de relever que le ressort narratif de la télékinésie reviendra dans l'œuvre de Stephen King, entre autres dans "Charlie".

Enfin, force est de relever que le sang, sous toutes ses formes, fait figure de leitmotiv de "Carrie". Il peut être anecdotique, comme lorsqu'il fuse lors d'une petite blessure, intime lorsqu'on parle des règles (et qu'on réveille ainsi l'imaginaire traumatisant qu'elles peuvent avoir), juste dégueulasse lorsqu'on parle de sang de porc, même pas humain, ou vital quand on compte les morts du bal de fin d'année. Dès lors, on pense, et l'auteur cite ce fait divers terrible, à l'incendie du Cocoanut Grove, survenu en 1942 à Boston, ou à "la nuit du 5-7", survenue en 1970. En France comme aux Etats-Unis, les écrivains Jean-Pierre Montal (dans "La nuit du 5-7") comme J. Courtney Sullivan (dans "Maine") en ont fait leur matière plus tard. A sa manière, capable d'utiliser les sombres ressorts de la psychologie humaine pour aller vers le pire, c'est dans cette tradition des drames des balloches, mortels pour une jeunesse qu'on voudrait attachante, que "Carrie" s'inscrit.

Stephen King, Carrie, Paris, J'ai Lu, 2005/Gallimard, 1976. Traduit de l'américain par Henri Robillot.

12 commentaires:

  1. J'ai fait comme toi : j'ai emprunté un bon vieux Stephen King pour l'été (Dolores Claiborne) !

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    1. Bonjour Sandrine! "Dolores Clayborne", un classique, oui! J'ai vu le film (dur dans son genre), sans avoir lu le roman pour autant. Je te souhaite de belles heures de lecture!

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  2. J'aime bien aussi me faire un peu peur en période estivale... un Stephen King, ça fonctionne toujours. Graham Masterton est assez efficace aussi dans le genre.

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    1. Bonjour! Graham Masterton? Je ne le connais pas. Mais je garde son nom en mémoire: cela pourrait être une découverte. Merci pour le tuyau et bon dimanche à toi!

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  3. J'avais apprécié le film, je ne sais pas si je tenterai le roman mais tu m'as fait sourire avec "brochette de personnages d'adolescents détestables". Je crois qu'ado, c'était un peu ma vision de la plupart des ados qui m'entouraient :)
    Quant aux apports de l'auteur pour rendre son texte plus consistant, je loue sa bonne foi et la démarche, appréciant souvent ce genre d'apport dans un roman.

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    1. Bonjour Audrey, merci pour ton commentaire! Ma vision du film remonte sans doute au siècle dernier; dès lors, y revenir via le livre a eu le goût des souvenirs. Et j'ai aussi côtoyé, à l'âge de l'adolescence, mon lot de contemporains détestables. Sans doute l'écrivain joue-t-il sur un vécu commun...
      Je te souhaite un magnifique dimanche, un peu mieux qu'ici: au moment où je te réponds, il pleut à Fribourg...
      Amicalement!

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  4. J'aime bien les polars mais trop glauque pour moi; Je crois me souvenir que j'avais essayé une fois S. King et que j'ai lâché. Lequel ?

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    1. Bonsoir Thaïs! Merci pour ton message. Ici, il s'agit d'un livre d'horreur, ou alors d'un thriller éventuellement, plus encore que d'un polar: la présence de la police y est marginale finalement. Autre chose? Dans un genre politique, il y a "Dead Zone". Et dans un style plus engagé, "La Ligne verte", qui se passe dans le couloir de la mort. A (re)découvrir!?
      Bonne soirée à toi!

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  5. Je te recommande Marche ou crève ;)

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    1. P.-S.: je te présente mes excuses pour le retard de cette réponse à ton commentaire!

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  6. Je te recommande Marche ou crève ;)

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    1. Bonjour Ju, merci pour ton message!
      J'ai lu "Marche ou crève" il y a longtemps, avec plaisir! En effet, c'est un titre recommandable.
      Bon week-end à toi!

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