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vendredi 14 juillet 2023

Cuisine moléculaire: bon appétit messieurs-dames?

Jörg Zipprick – Il semble qu'aujourd'hui, la cuisine moléculaire soit quelque peu passée de mode et qu'à la suite de quelques scandales sanitaires, les restaurateurs aient à nouveau accordé la juste priorité à la matière première: viande, fruits, légumes, féculents. Voilà qui semble donner raison au chroniqueur gastronomique allemand Jörg Zipprick: sorti en 2009, son ouvrage "Les dessous peu appétissants de la cuisine moléculaire" a fait quelques remous à sa sortie. Il a aussi dû contribuer, ne serait-ce qu'un peu, ses lecteurs à savoir ce pour quoi ils paient tant lorsqu'ils savourent un repas de cuisine moléculaire, par exemple dans le mythique restaurant "El Bulli" à Rosas, naguère tenu par Ferran Adrià.

Mythique: le mot n'est pas choisi au hasard. "Les dessous peu appétissants de la cuisine moléculaire" se présente comme une déconstruction méthodique du mythe – celui du génie, de l'inventeur, du magicien fait chef coq. Un maître mot s'impose dans la démonstration de l'auteur, journaliste gastronomique allemand: "additifs". Ceux-ci ont été mis au point par des laboratoires de chimie pour un usage alimentaire, et se retrouvent bien entendu dans ce que l'on trouve dans les supermarchés, ne serait-ce que pour des raisons pratiques: durée de conservation, maintien d'un aspect présentable ou d'une certaine palatabilité sur la durée, etc. 

L'auteur indique que cet usage agroalimentaire, si critiqué qu'il puisse être, est raisonné en plus d'être nécessaire: ceux qui mettent au point votre pizza surgelée sont conscients des dosages de tel ou tel additif, dont le nom commence, vous le savez si vous lisez la composition de vos produits alimentaires, par un "E". Face à cet usage raisonné, façon "mal nécessaire", il place les cuisiniers qui, à la tête de restaurants chics, en font une utilisation toute différente, pour obtenir des résultats trompeurs, spectaculaires et surprenants, mais pas forcément digestes – les jolis petits plats déroutants de "El Bulli" sont restés dans les mémoires. L'auteur indique qu'ils ont aussi provoqué un nombre notable de malaises immédiats, dont les hôpitaux voisins de Rosas ont été les témoins... 

On l'a compris: l'auteur met en évidence les enjeux de santé publique de la cuisine moléculaire, et va jusqu'à répondre aux objections des tenants de telles pratiques culinaires, à commencer par l'un de leurs penseurs, le chimiste français Hervé This: ce n'est pas parce que certains additifs sont naturellement présents dans la nature qu'il faut forcément en rajouter, ou parce que tout est chimie en cuisine qu'il faut surloyer cet aspect. Un chapitre aborde par ailleurs la question des allergies – on pense au "syndrome du restaurant chinois", provoqué par le glutamate monosodique – alors qu'un autre évoque le tempérament d'ayatollahs intolérants des tenants de la cuisine moléculaire.

Et si tout ça n'était qu'une question de fric? En journaliste soucieux d'exhaustivité, l'auteur évoque les enjeux économiques du phénomène des additifs, que la maison Adrià a vendus pendant un certain temps sous la marque "Texturas" aux cuisiniers professionnels ou amateurs désireux de remettre ça chez eux. Peu à peu, il démontre que les additifs sont souvent des substituts bon marché destinés à faire illusion quand on ne veut pas payer pour le "vrai" produit: un solide parfum de champignons en spray fait illusion et coûte moins cher qu'une chouette poignée de chanterelles. Au terme de sa lecture, le lecteur se dit que les papes de la cuisine moléculaire vendent à prix d'or des produits bourrés d'additifs et moins sains que la barquette de lasagnes que vous achèterez peut-être demain au supermarché. Et que des restaurateurs moins cotés se laissent tenter, sans parler de la cuisine d'assemblage, mais cet aspect reste marginal dans le livre de Jörg Zipprick.

Le travail du journaliste s'est aussi heurté à des résistances, à des réticences à dire la vérité. Il lui a fallu gratter pas mal pour découvrir que cette cuisine expérimentale, "techno-émotionnelle", est financée par l'Union européenne (projet INICON cherchant à transférer le savoir de la chimie dans le monde alimentaire). Il a très bien compris, au fil de ses contacts, que le mot "additif" est tabou, comme si les chefs qui ont adopté la cuisine moléculaire ne l'assumaient pas – une impression confortée par le fait qu'ils ne sont généralement pas d'accord d'indiquer ces "ingrédients" sur la carte. La réticence est la même chez les critiques gastronomiques, ce que Jörg Zipprick déplore de la part de ses confrères: pourquoi ne sont-ils pas plus curieux, plus coriaces? Ont-ils peur des haters? – Car oui, la cuisine moléculaire est aussi affaire de communication et de réseaux sociaux...

En refermant ce réquisitoire passionnant, fondé sur la visite de restaurants, des entretiens et une solide expérience de journaliste, le lecteur saura que certains chefs tentent de lui faire manger des additifs également utilisés pour produire du cirage (carraghénanes, E407), du savon (xanthane, E 415), voire du faux sperme dans le porno (méthylcellulose, E461). Bon appétit, messieurs-dames! Pour conclure le tout, l'auteur donne en annexe la liste des additifs en "E" avec leur dénomination officielle, leur description et leurs effets potentiels. Ainsi, "Les dessous peu appétissants de la cuisine moléculaire" est un ouvrage rigoureux et punchy qui déconstruit une mode culinaire dont le caractère salutaire est loin d'être démontré. Par réaction, une seule envie: le retour au vrai produit. 

Jörg Zipprick, Les dessous peu appétissants de la cuisine moléculaire, Lausanne, Favre, 2009.

Le site des éditions Favre.

6 commentaires:

  1. Ce que l’on pouvait voir semblait joli mais je n’ai jamais eu l’occasion de goûter. Cependant j’ai toujours eu l’intuition que le vrai produit devait être meilleur pour la santé. En tous cas, l’analyse de ce journaliste semble assez bien documenté.

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    1. Bonjour Thaïs! En effet, les arguments pèsent: l'auteur va jusqu'à citer certaines recettes, où l'additif pèse presque plus que l'ingrédient proprement dit. Perso, je n'ai jamais eu non plus l'occasion de faire l'expérience de la cuisine moléculaire. Bon week-end à toi!

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  2. Bon week-end et désolée pour l’orthographe 😦 en plus je m’adresse à un champion !

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    1. Pas de souci Thaïs! Je te souhaite un magnifique dimanche!

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  3. Je me souviens qu'à une époque on parlait beaucoup de cette fameuse cuisine moléculaire. Vu les dessous dont tu nous donnes un aperçu, ce n'est pas plus mal qu'elle soit passée de mode !

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    1. Bonsoir Audrey, merci pour ton commentaire! Que la cuisine moléculaire soit passée de mode, c'est surtout une impression de ma part - on n'en parle apparemment plus guère. Certaines idées auront cependant peut-être trouvé leur place dans la cuisine de restaurant traditionnelle, à l'instar des "espumas"... Et en effet, ce livre ne donne pas très envie de lâcher plusieurs centaines d'euros pour quelques chose qui paraît bien artificiel.
      Bonne soirée à toi!

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