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vendredi 30 juin 2023

Mort, art et finance: les raisons de la colère

Guillaume Lafond – C'est sur le ton paradoxalement serein de la confession que se raconte "La colère selon M", dernier roman de l'écrivain Guillaume Lafond. Celui-ci met en scène un personnage qui n'a guère appris à l'école tout court, mais que l'école de la vie s'est chargée de former. Engagé sur tous les terrains d'opérations de la Légion étrangère, il rencontre Mémé, qui deviendra son alter ego et son mentor. Un alter ego qui va perdre la vie lors d'une opération qui ne laissera pas son collègue indemne non plus. 

Par-delà la mort, l'auteur présente Mémé comme une forme d'ange gardien et de coach pour le personnage principal, qui va se plonger corps et âme dans l'art pour faire le deuil de la seule personne qui aura compté dans sa vie. C'est que l'artiste, qui vit loin de sa famille, est marqué par une vie de solitude marquée par une certaine misanthropie: c'est reclus dans une ferme du Cantal qu'il crée. Fatalement, quelqu'un va le repérer. Il s'appelle Georges Hedigger... 

Emotion érigée en mode de défense, la colère ne quitte guère le personnage principal, héritier démuni de celui qui l'aura repéré – un homme d'affaires féru d'art aux origines suisses qui lui lègue son immense fortune, mais aussi, même si l'auteur ne les décrit guère, les horreurs qu'il a pu commettre pour devenir riche. Pour dire cette richesse, l'auteur dit les milliards, des sommes inimaginables pour le lecteur; il imagine aussi le nom de Buckrock pour l'empire dirigé par Georges, suggérant un rapprochement avec Blackrock, nom d'une société américaine bien connue de gestion d'actifs. 

Comment intégrer le monde, ce monde que le personnage principal a longtemps fui et dans lequel il est à présent plongé malgré lui? Ce retour à la réalité va réveiller les colères enfouies du narrateur, qui a entre-temps fait la connaissance de la sœur de Mémé, Olivia, qui base sa fructueuse mais délicate activité sur la finance éthique. L'auteur, dès lors, relate la manière dont le narrateur mobilise tout ce qu'il peut, le monde des arts comme celui des hackers, des complotistes et des décrypteurs de symboles, pour faire exploser un monde de la finance qu'il a appris à détester. 

Le final a dès lors des couleurs puissamment religieuses et mystiques, annoncées dès le début par une structure en parties où le lecteur voit naître, en lettres grecques, le mot d'"Apocalypse". Couramment, on pense bien sûr à une catastrophe aux dimensions majeures, et c'est bien ce que planifie le narrateur. Mais par ailleurs, le mot signifie "révélation", et c'est tout l'enjeu du roman: se révéler au monde alors qu'on est un artiste resté anonyme pour entretenir le mystère. Quant à Mémé, son vrai prénom, christique s'il en est, n'est autre que "Messiah". 

Entre finances, arts et métier des armes qui ne laisse pas indemne, "La colère selon M" est donc un thriller à nul autre semblable, atypique, qui ose mobiliser l'idée de colères suprêmes pour évoquer les catastrophes que notre monde vit, ou pourrait vivre, en raison de la démesure de certains projets humains. Si sa tonalité peut paraître étrangement calme, c'est qu'elle adopte justement, peu à peu, le ton froidement déterminé des colères les plus terribles. Celles qu'on dit bibliques...

Guillaume Lafond, La colère selon M, Paris, Editions Intervalles, 2023.


2 commentaires:

  1. Détester le monde de la finance, ça me semble être plutôt sain tellement ses déviances sont délétères... Je ne connaissais pas ce thriller qui m'intrigue et qui semble posséder une certaine originalité.

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    1. Bonsoir Audrey! Oui, c'est un thriller atypique, avec un personnage vraiment original - à découvrir! Il vient de paraître, d'ailleurs.
      Bonne soirée et bonne semaine à toi!

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