Claude Luezior – Qu'il va vite, le dernier recueil du poète fribourgeois Claude Luezior! Pour savourer chaque mot de "Au démêloir des heures", il est souvent indispensable de s'arrêter sur ces vers volontiers allusifs, si courts qu'ils traversent les pages comme de fugaces éclairs, si fugaces même qu'ils s'économisent les majuscules qui marquent le début de la lecture (on est déjà partis!) et les ponctuations. Or, s'efforcer de freiner un peu, c'est la seule manière d'en capter le sens, le suc...
Pourtant, c'est bien la force de l'éclair que l'on retrouve au fil des poèmes, tellurique, mystérieuse et immarcescible. L'alcool a sa place, bien sûr. Mais de façon plus ambitieuse, l'auteur évoque aussi le temps qui file ("Ô tempora, ô mores", avec ce "pas le temps!" qui claque d'emblée) ou la puissance de la nature, avec ce "Une feuille" qui voit naître, timide puis forte, une feuille au printemps. Et l'être aimé, ou celle de l'autre sexe, se fait sa place au fil des vers aussi, avec franchise ou en filigrane.
Poète chevronné, l'auteur n'hésite pas à interpeller son métier, dans un esprit quasi carnavalesque de renversement des règles. C'est dans "Rimailles et rossignols" que cela apparaît. Le seul poème du recueil qui rime? En apparence certes, mais voire: si les sonorités de fin de vers sont mêmes, elles ne sauraient, et c'est délibéré, satisfaire les comptables rigoureux des rimes masculines et féminines, singulières ou plurielles.
Et alors que le haïku, genre poétique japonais, est plutôt connu pour son caractère fulgurant, voilà que le poète l'utilise comme pause intermittente dans son recueil – un moment qui, pour le coup, invite à vraiment prendre son temps. Par contraste avec les vers de deux ou trois syllabes qui constituent la plupart des poèmes de "Au démêloir des heures", en effet, ceux-ci paraissent lents, désireux de prendre leur temps au fil de vers de six, sept pieds, voire plus – ils peuvent même se muer en une prose poétique. Pour souligner le rôle de contrepoints de ces tercets, l'auteur a pris soin de les composer en italiques: attention, la musique change pour un moment.
"Au démêloir des heures" apparaît dès lors comme une réflexion sur l'art et le cœur du poète, qu'il s'agit de démêler par les mots rythmés bien sûr, mais aussi sur sa place en résonance avec tout ce qui le dépasse, qu'il s'agisse de la vie des sens ou de quelques réalités cosmiques ou qui, si la science en a percé quelques secrets, gardent une part de mystère. Le recueil ne recule pas devant la transgression, et ose le rythme pour mieux le subvertir.
Claude Luezior, Au démêloir des heures, Paris, Librairie-Galerie Racine, 2023.
Le site des éditions Librairie-Galerie Racine.
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