Gérald Tenenbaum – Comment en est-on arrivé là? Partant d'un prologue des plus dramatiques, relatant la mise à mort d'un campement de touaregs par ceux d'Al-Qaïda, le roman "L'Affinité des traces" de Gérald Tenenbaum relate le destin singulier d'Edith Behr dite Talyat, marqué par la judéité, la soif d'émancipation et les derniers jours de l'Algérie française.
L'écrivain réussit brillamment à recréer ce qu'est la manière de vivre en juif dans les années 1960 à Paris, entre les modes culturelles marquées entre autres par la parution du roman "Bonjour tristesse" de Françoise Sagan et la volonté de perpétuer un art de vivre mis à mal par la Shoah, qui a décimé la famille d'une Edith dès lors ballottée dans ce qui lui reste de famille.
Il y aura des mots de yiddish, ancestraux comme certains rituels, dans "L'Affinité des traces". Et aussi le poids des usages, des mariages arrangés, des destins tout tracés pour les filles juives auxquelles le rabbin trouvera un mari.
Force est de relever qu'Edith Behr vit constamment dans des familles qui ne sont pas les siennes; sa quête d'émancipation sera donc aussi la quête d'une famille qui sera la sienne, choisie plutôt qu'imposée.
Les mots de yiddish, les traditions dites d'homme à homme (ou de femme à femme), l'auteur les fera résonner avec le monde ancestral des touaregs, où Edith va finalement trouver ce qui sera sa vie après un passage comme sténographe et dactylo au sein de l'armée. Recréant les mots voilés, il recrée avec finesse le langage volontiers elliptique du peuple du désert, toujours en quête d'eau, pétri lui aussi de traditions porteuses de sens, dites par des mots qu'on ne saurait traduire et que l'auteur restitue donc tels quels, avec le souci d'en évoquer la signification profonde.
Dès lors, Edith Behr apparaît comme le point de contact entre le colonisateur français et les touaregs, autochtones s'il en est, capable de comprendre deux univers que l'Histoire a rapprochés mais dont l'auteur dit les différences. Le lecteur français ou occidental se trouve ainsi en terrain connu, voire en zone de confort, lorsqu'il sera question des usages militaires de l'armée française. Mais cette zone de confort n'est pas anodine: en évoquant les essais nucléaires français dans le Sahara, l'auteur rappelle certains pans sombres de la présence française en Algérie. Et rend implicitement l'attachante Edith complice, peut-être à son corps défendant: avait-elle signé pour ça?
Bouclée sur une note d'espoir portée par l'envie de raconter encore et encore pour faire tradition, cette histoire riche et finement ciselée, soucieuse de profondeur lorsqu'il s'agit de dire les mentalités, leurs conjonctions et leurs antagonismes, est mise en valeur par un style des plus soignés. L'écriture sait se faire envoûtante par moments, n'hésitant pas à jouer sur les sonorités et les parentés des mots pour faire jaillir un supplément de sens.
Gérald Tenenbaum, L'Affinité des traces, Nancy, Le voile des mots, 2023. Première édition Paris, Editions Héloïse d'Ormesson, 2012.
Le site de Gérald Tenenbaum, celui des éditions Le voile des mots.
Lu par Airelle, Guide Lecture, Joyeux drille, Le Canapé Rouge, Tioufout, Val Bouquine.
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