Laurence Voïta – Un homme pressé bouscule un malvoyant en gare de Lausanne... et le drame démarre. C'est de là que part "Aveuglément" de Laurence Voïta: une bousculade qui, survenue entre deux personnes, va impacter un certain nombre de destins que la romancière va creuser en profondeur.
L'auteure a le génie de créer un début des plus accrocheurs en pratiquant habilement la rétention d'information, à la façon d'un flou artistique. Elle en dit ni trop ni trop peu sur ces deux personnages qui se bousculent, juste assez pour que le lecteur ait envie d'en savoir davantage.
Et peu à peu, au fil des pages, la focale se précise, faisant émerger d'autres personnages. Ont-ils quelque chose à voir entre eux? A priori non. Mais le récit va s'attacher à éclairer habilement certains liens et ruptures insoupçonnés: famille, amitié, divorce houleux. Ce ne sont rien de moins que des secrets, que le lecteur découvre peu à peu.
Qui sont ces personnages? Pour n'en citer que quelques-uns, il y a donc José, le malvoyant, qui tisse avec l'aïeule Mathilde une complicité que l'auteure restitue avec tendresse et malice. Il y a celui qui bouscule: Marco, qu'on a cru mort noyé, et qui refait surface sept ans plus tard tel un Martin Guerre moderne. Et qui hante l'école primaire que fréquente son fils, suscitant des questionnements légitimes auprès d'une bande d'écoliers: cet homme sorti de nulle part, qui loge à l'hôtel et hante la cour de récré quatre fois par jour est-il un pervers?
Toutes et tous autant qu'ils sont, famille monténégrine vivant dans un tout petit logement, couple de lesbiennes, femme à chat aimant les macarons, enfants et aînés, les personnages d'"Aveuglément" sont des gens ordinaires, de parfaits anonymes. Les drames qui traversent leurs vies peuvent paraître presque banals. Mais l'auteure réussit à démontrer qu'à leur échelle d'humains, ils sont considérables. Si Marco est devenu aveugle en quelques jours à la suite d'une maladie dégénérative, par exemple, tel enfant meurt d'une méningite foudroyante en à peine plus de temps dans ce roman. Et si attachante que puisse paraître Mathilde, elle aussi a connu son lot de drames personnels difficiles à raconter.
Dès lors, c'est dans les méandres de la vie de quelques personnages ordinaires, travaillés avec soin, que l'écrivaine se plonge, avec une attention empreinte d'empathie pour les peines vécues – ce qui n'empêche pas le rejet des violences, concrétisé par le personnage de Bruno Schneider, policier à la retraite qui n'arrive pas à décrocher. Il en résulte un roman en forme de nœud d'intrigues, empruntant aux codes du polar comme à ceux de la littérature blanche, écrit en chapitres courts aux titres marqués par la temporalité et rédigés tantôt en dialogues rapides, tantôt en paragraphes longs qui imposent au lecteur de prendre un peu de temps.
Laurence Voïta, Aveuglément, Lausanne, Favre, 2023.
Le site des éditions Favre.
Lu par Francis Richard.
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