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vendredi 9 décembre 2022

Obsolescence à tous les étages: reflets du dernier collectif du Prix de l'Ailleurs

Collectif – C'est devenu un rituel: chaque année, la Maison d'Ailleurs à Yverdon (Suisse) publie le recueil des nouvelles primées ou remarquées de son concours, le Prix de l'Ailleurs. Cette année, c'est d'obsolescence qu'il est question dans l'ouvrage, précisément intitulé "Obsolescence". Un recueil qui réunit dix textes sur 169 participations, sélectionnés par un jury où siège la préfacière Alice Bottarelli. Cette année, il convient de relever une participation très internationale, avec des nouvelles venues de Suisse, de France, de Belgique, du Canada et même de Bolivie.

Qui dit concours, dit lauréats. Et force est de relever que les textes primés, porteurs d'une personnalité forte, ont su relever le défi du thème proposé, voire le transfigurer. Il en va ainsi de "Comme un colibri-foudre" de Magali Bossi – qui a signé il y a quelques années l'étonnant premier roman "Les Inchangés" chez Cousu Mouche. Plus que tout autre écrivain dans ce recueil, elle excelle à créer en quelques pages un univers personnel étrange, onirique et post-robotique qui conçoit le grand retour de l'organique. C'est certes futuriste, mais quelques aspects, par exemple le nom d'un vaisseau spatial, renvoie le lecteur au temps des caravelles et des grandes découvertes. Quant au personnage principal, Le-A, c'est un prostitué protéiforme et transgenre qui ne manque pas d'intriguer, voire d'envoûter.

Avec "Vite!" d'Olivier Berton, on a envie de dire que tout est dans le titre. Mais c'est peu de le dire: pour suggérer la brièveté de la vie humaine, son obsolescence programmée dès la naissance, l'auteur la réduit à l'affaire d'une heure. Quant à l'écriture, elle se révèle follement haletante avec toutes ces virgules, qui suggèrent l'abattage implacable du "Cantique de la racaille" de Vincent Ravalec. Et renvoie le lecteur à ses propres hâtes, personnelles ou imposées par la société: tomber amoureux, se marier, avoir des enfants, un statut social... et échapper à l'obsolescence, aux "gris" qui entourent le personnage principal.

"Ceux qui vont mourir", enfin, excelle à souffler le chaud et le froid en mettant en scène une poignée d'ultra-centenaires finalement attachants. Le lecteur peut croire qu'il s'agit d'une victoire du progrès qui repousse les limites de la mort. Soit! Mais voilà: au fil du texte, son auteur, Tristan Piguet, déconstruit les rouages économiques à l'œuvre derrière le grand âge, devenu un business comme un autre, et plutôt lucratif. Du coup, ça devient cynique: si les seniors se font du mouron parce qu'ils sucent le sang des jeunes et des actifs qui bossent à leur service, ceux-ci se vengent en se constituant leur bas de laine sur leur dos en répondant à leurs moindres désirs sanitaires. Un senior, ça rapporte...

Les textes remarqués sont le reflet des préoccupations de notre époque, habilement distillées: obsolescence du langage dans "Engoisse" de Danica Hanz, vie sous terre en compagnie de livres dupliqués par un procédé savant pour se préserver d'un climat devenu hostile dans "Loin des Arvènes" de Florian Orazy, précarisation des petits métiers ubérisés (drone ou vélo? Un dilemme pour les livreurs...) avec "L'Attente" de Denis Colombi, environnement suspect dans "Pour nos enfants" d'Ariane Velte, qui met en scène une femme enceinte face à une eau viciée. 

Plus d'une nouvelle conserve le souvenir de la période de contraintes liées à la pandémie de covid-19 que nous avons toutes et tous traversée – on pense ici en particulier à "I. S. A. A. C." de Cédric Tiberghien, où il est question d'un vaccin qui tue pour réaliser une prédiction peu connue d'Isaac Newton. Dans "L'Age d'or", l'auteur bolivien Robinson Hette s'aventure avec humour à décrire des hommes diminués par une robotique qui aurait dû les augmenter (c'est dévastateur: ils ne savent même plus pousser une porte pour l'ouvrir) et n'aspirent qu'à une chose: travailler et gagner leur vie, plutôt que se divertir dans les métavers.

Il y a enfin quelque chose d'à la fois glaçant et attendrissant dans "Dernières minutes avant l'obsolescence", en particulier dans la description émouvante de ce grille-pain en parfait état de marche, plutôt haut de gamme, mais qu'il faut jeter parce qu'il est devenu ringard. En quelques mots, l'auteur décrit ici cette obsolescence des objets de consommation. Cette question de l'obsolescence est théorisée en fin de recueil par Serge Latouche, en quelques pages qui reprennent des arguments décroissantistes – pour ce qui est de la différenciation des obsolescences, on pense à Cédric Biagini et à son livre "L'emprise numérique". Enfin, une brève interview de l'écrivain Philippe Curval par Colin Pahlisch, initiateur du Prix de l'Ailleurs, conclut l'ouvrage.

Collectif, Obsolescence, Vevey, Hélice Hélas, 2022.

Le site des éditions Hélice Hélas, celui du Prix de l'Ailleurs.

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