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mercredi 30 décembre 2020

Portrait de Robert McAlmon en protecteur des arts

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Maud Simonnot – Les Américains à Paris, c'est tout un poème. Surtout pendant les années 1920. Surtout s'ils sont écrivains. Avec "La nuit pour adresse", publié chez Gallimard, l'écrivaine Maud Simonnot fait revivre cet univers, tissé de beuveries homériques jusqu'au bout de la nuit, de littérature flamboyante et d'humanité exacerbée, pour le pire comme pour le meilleur. Cela, en plaçant au cœur de son propos Robert McAlmon, écrivain et éditeur américain, fugace protecteur des arts à la manière anglophone du côté du Quartier latin.

L'écrivaine s'adonne à un exercice qui pourrait paraître ingrat, mais s'avère essentiel: aller voir les gens oubliés, hommes comme femmes, qui se sont trouvés un jour ou l'autre à l'origine de la gloire des autres – des êtres généreux auxquels on n'a pas toujours su dire merci. "McAlmon le magnifique", comme le dit le bandeau de couverture, est ainsi présenté comme un personnage généreux, en termes financiers mais aussi de réseau, à l'origine du succès d'auteurs tels que James Joyce ou Ernest Hemingway.

James Joyce? Avec "La nuit pour adresse", le lecteur ne peut que se laisser envoûter par le talent narratif de l'écrivaine rappelant les vicissitudes liées à l'édition d'"Ulysse": impression au loin, demandes de corrections de dernière minute par l'auteur. L'auteure ne manque pas de désenchanter le mythe, cependant: certaines exigences relèvent de la lubie alcoolisée davantage que du pur génie. Mais l'esprit est dans le vin, n'est-ce pas?

Parlons-en, du vin: au travers de McAlmon et de la nuée d'écrivains qui l'entourent, l'auteure dessine le petit milieu des écrivains anglophones concentrés du côté du Quartier latin, et plus précisément d'une librairie, Shakespeare and Company. Les amoureux de Paris savent qu'elle se trouve face à Notre-Dame; mais au temps de Robert McAlmon, elle était plus au sud, vers l'Odéon, et Sylvia Beach en était la protectrice, accueillant et facilitant la carrière d'auteurs dont les noms résonnent encore aujourd'hui, peu ou prou: Djuna Barnes, John Glassco, Louis Aragon même. Et comme nous sommes dans les années folles, le carburant est bel et bien l'alcool, généreusement consommé et partagé dans des bars et brasseries aussi mémorables que le Dôme ou la Rotonde.

Mettant en scène des caractères aussi forts que ceux des écrivains, l'auteure ne manque pas d'évoquer la difficulté qu'on peut avoir à s'accorder. Cela commence par le mariage de convenance de McAlmon avec une certaine Bryher, riche à millions. Plus tard, il y aura l'amitié non sans nuages de McAlmon avec Ernest Hemingway, présenté comme un auteur viriliste, féru de tauromachie et considérant l'homosexualité comme une faiblesse – mais rappelant aussi, et c'est un programme pour "La nuit pour adresse", que "Paris est une fête". Dans ces conditions, la confrontation peut prendre la forme d'un combat de boxe improvisé...

Enfin, la romancière place quelques hypothèses pour expliquer l'effacement de Robert McAlmon, poète et surtout soutien essentiel à toute une génération d'écrivains anglophones, une "génération perdue" comme qui dirait. On y trouve de l'ingratitude, de l'oubli, du ressentiment parfois. L'auteure prend cependant la défense du décalé McAlmond, dandy bisexuel, rappelant que si utile qu'il ait été, ni nanti ni universitaire, il n'était pas raccord avec son milieu – qui n'a d'ailleurs pas brillé par sa gratitude. McAlmon, écrivain perdu de la génération perdue? Certes.

De "La nuit pour adresse", le lecteur retient le talent de conteuse de l'écrivaine, capable de captiver son lectorat à partir d'éléments qui, sous leur apparence anecdotique, s'avèrent révélateurs – on pense là à l'épisode du chien mort, offrant à Hemingway l'occasion de poser en écrivain face aux passagers d'un train. Dans le monde gris des amitiés et des rognes, des amours et des emmerdes, elle réussit à faire revivre tout un univers artistique aussi flamboyant qu'une nouvelle bohème, lubrifiée par l'argent facile.

Maud Simonnot, La nuit pour adresse, Paris, Gallimard, 2017.

lundi 28 décembre 2020

Xochitl Borel, un alphabet des couleurs

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Xochitl Borel – "L'alphabet des anges" est le premier roman de l'écrivaine Xochitl Borel. Paru en Suisse, il  s'agit d'un ouvrage qui a été remarqué à sa sortie en 2014. A raison.

Si l'on prend l'histoire nue, toutefois, elle n'a rien d'affriolant. Voici le lecteur en présence d'une jeune femme, Soledad, enceinte malgré elle, qui mène sa grossesse à son terme malgré un avortement. Il en reste une cicatrice: Aneth, sa fille, est borgne. Cela, dans un contexte qu'on pourrait être tenté de qualifier de très "suisse", taillé au cordeau, mais qui est, plus largement, celui d'une société conventionnelle, avide d'ordre et de paix après la Seconde guerre mondiale. 

Cela aurait pu sombrer dans le pathos, mais non. C'est là que l'art de la poésie intervient, et l'écrivaine y excelle, pour habiller le récit de beauté sans en omettre les parts d'ombre. Il y a dans "L'alphabet des anges" une profusion d'adjectifs de couleur, soulignant une approche visuelle. Il y a bien sûr le rouge horrible de l'avortement – un avortement relaté d'ailleurs avec pudeur, le mot même n'étant guère dit. Il y a aussi la couleur des robes, l'attrait pour les couleurs vives et l'impression qu'elles laissent: celle de la mer, celle de la végétation à laquelle le prénom d'Aneth fait écho, comme celui du chien Basilic. Seuls le gris et le blanc, ces non-couleurs de la convention et de l'"adéquation", sont rejetés.

"Adéquat", voilà bel et bien l'adjectif honni de ce roman, celui que l'auteure fait claquer comme un repoussoir. À travers ce mot, c'est tout le refus des conventions qui s'exprime. Un refus qui est dans la droite ligne de la philosophie de vie de Soledad: attirée par le gris des attentes de la société, elle a joué le jeu en gagnant diplômes et distinction. Mais n'y a-t-il pas mieux à faire de sa vie? Aneth, et l'amour maternel, y pourvoiront. Avec un certain Emile, puisque, faisant foin des conventions encore, les familles se recomposent dans "L'alphabet des anges".

Emile? Il sera surnommé "Aime-Il" par Aneth. L'auteure recrée avec une finesse émouvante la capacité de poésie de l'enfance, si difficile à retrouver lorsqu'on a des yeux d'adulte, et qui nait d'un décalage du rapport au monde. Si elle choisit de jouer de la trompette, ainsi, c'est pour pouvoir parler éléphant – même si ce n'est pas "adéquat" dans son milieu. L'expression poétique naît aussi de lapsus révélateurs, ainsi que de mots proches, tels que "Scrabble" par rapport à "crabe". Quant à la cécité croissante d'Aneth, elle poussera cette dernière à percevoir puis à dire le monde par d'autres biais.

"L'alphabet des anges" naît de la vie d'une enfant qu'une faiseuses d'anges, du reste seule nommée par une civilité ("Madame Margot") au contraire des autres personnages qui ont un prénom, comme si elle était en quelque manière étrangère à l'intrigue, aura épargnée. C'est aussi le roman d'êtres libres et qui assument, à commencer par la femme Soledad et sa fille Aneth. Sur des thèmes d'apparence féminine mais qui résonnent pour l'humanité entière, c'est aussi un roman fort dont l'amour est le moteur, un amour qui surmontera les obstacles et aura raison des conventions, dans un milieu qui en est pourtant pétri. 

Xochitl Borel, L'alphabet des anges, Vevey, L'Aire. 2014. Préface de Blaise Hofmann.

Le site des éditions de l'Aire.

Lu par Amandine GlévarecFrancis RichardLena DL Cruz, Lydie et ses livres, Martine Moratal.

dimanche 27 décembre 2020

Dimanche poétique 479: Jacqueline Thévoz


Virages dans ma tasse

Et tangue et danse en rond, bon roulis sec, et penche,
Auberge folle du wagon!
Balancez-vous, mes nappes blanches,
Lors que larges et vestes manches
De buveurs attardés trempent dans le bouillon!
Récipients soûls, pots qui s'épanchent
Torturent, le matin, ma morne soif étanche.
Tanguez sec et dansez, les fritures de tanches!
Vire, ma tasse d'avalanches!
J'ai le goût de l'agitation
Ferroviaire.

Jacqueline Thévoz (1926- ), De la Terre au Ciel, Sierre, Editions à la Carte, 2015.

samedi 26 décembre 2020

Elle s'appelle (presque) Adolf

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Diane Ducret – Et si le dictateur était une dictatrice? C'est le scénario que la romancière française Diane Ducret, auteure d'ouvrages historiques sur les femmes de dictateurs, conçoit dans son roman "La Dictatrice". 

Sous la plume de Diane Ducret, l'Europe se trouve à la croisée des chemins: l'Union européenne s'est sabordée, signant sa chute dans un contexte marqué par la misère. Une femme se lève, elle s'appelle Aurore Henri, et balance un caillou dans la figure d'un de ces chefs d'état qui ont préféré le souverainiste à l'idée d'une Europe unie. Ce caillou, putsch manqué mais originel, va devenir un leitmotiv de "La Dictatrice". 

Dès lors, la romancière développe, au siècle près, un scénario parfaitement calqué sur l'aventure hitlérienne, de son ascension à sa chute. Le lecteur le comprend assez vite, par exemple en identifiant les initiales d'Aurore Henri et celles d'Adolf Hitler. Il relèvera avec gourmandise ("ah, je sais!") qu'Aurore et Adolf ont la même date d'anniversaire et qu'ils tous deux écrit leur programme politique en prison. 

Et s'il fallait citer une seule différence entre Henri et Hitler, c'est qu'alors que le Hitler que nous connaissons s'est fait tout seul (et il suffit de relire "Mein Kampf" pour s'en convaincre), Aurore Henri apparaît, du moins au début, comme la marionnette de quelques puissances financières. Des puissances que le récit oublie trop vite, à l'instar du personnage d'Helen.

Du coup, le reproche le plus vigoureux qu'on peut faire à "La Dictatrice" est de mettre en scène un personnage certes de genre féminin, mais qui agit en calque d'un homme nommé Adolf. Ainsi, "La Dictatrice" ne répond pas suffisamment à la question fondamentale: y a-t-il une manière spécifiquement féminine d'être dictateur?

Alors certes, l'auteure suggère que oui, il y a des spécificités. Le programme politique d'Aurore Henri se fonde en particulier sur un égalitarisme pro-féminin qui, entre autres, recycle l'idée d'une présomption de culpabilité pour les hommes accusés de viol – une question d'actualité aujourd'hui déjà. Plus profondément, et parce qu'un peu de religion ne fait pas de mal, Aurore Henri favorise un néo-paganisme féministe construit sur les représentations ancestrales du sexe féminin, considéré comme sacré. Féministe? Justement, on peut se poser la question, dès lors que la dictatrice a un projet pour la femme, à la fois aimable et contraignant. Comme, citons-les au bol, le catholicisme, l'islam et même un certain féminisme actuel. Quitte à passer l'idée essentielle d'émancipation par-dessus bord.

L'auteure passe une grande partie du roman à évoquer les effets supposés bons de l'"eunomisme", tentative d'équilibre idéal à vivre pour les humains, mais qui n'est rien d'autre qu'un totalitarisme qui va même dicter ce qu'il faut faire dans les alcôves. Le lecteur aura, en lisant ces pages, la même impression de malaise que dans "Les sept couleurs" de Robert Brasillach emmenant l'un de ses personnages dans des camps modèles allemands destinés à la jeunesse nazie et supposés sympathiques puisque c'est pour la bonne cause. 

Mais avec Diane Ducret, le lecteur aura très tôt l'impression que tout ça va se casser la gueule. Il est dès lors regrettable que, alors que l'ascension d'Aurore Henri est soigneusement dessinée, ce "cassage de gueule" n'occupe guère que cinquante pages du roman, finalement vite écrites, un peu de ci, un peu de ça: elles auraient mérité d'être plus travaillées, plus détaillées, en particulier en donnant à voir les populations déçues. Cela, en personnalisant par exemple les antagonismes exacerbés qui sont en présence. 

C'est qu'au-delà de quelques éléments précis, en particulier le personnage de la portugaise Elena, l'auteure ne donne guère la parole aux gens ordinaires – en particulier, elle omet de dessiner une résistance qu'on aurait pourtant attendue: l'utopie eunomiste est trop belle pour être vraie, comme toutes les utopies d'ailleurs. On se souviendra, pour faire court, de "La grande parade" de Jean-François Revel, qui posait déjà cette question de la faiblesse des utopies forcément contraignantes, d'autant plus qu'elles prétendent proposer le meilleur projet à l'humain.

Alors oui: nous sommes entre 2033 et 2045, soit un siècle exactement après les temps du nazisme. Les humains n'ont-ils donc rien appris? Et la femme est-elle l'avenir de l'homme, même en matière de dictature pour le bien de tous? Aurore Henri apparaît aux yeux du lecteur comme une figure viriliste comme une autre, récupérant certains chevaux de bataille du féminisme sans chercher à gommer fondamentalement les stéréotypes de genre. Faut-il dès lors conclure qu'une dictatrice est un homme comme un autre? C'est ce que suggère "La Dictatrice" – un roman qui ne parvient pas tout à fait à décrire ce que pourrait être une dictature spécifiquement féminine. De ce point de vue, dans un registre certes plus expérimental, "Les sorcières de la république" de Chloé Delaume y parvient bien mieux. Même si le constat final est le même: c'est celui d'un échec. 

Diane Ducret, La Dictatrice, Paris, Flammarion, 2020.

vendredi 25 décembre 2020

Joyeux Noël!

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Chers visiteurs faisant un fugace rebond sur ce blog, chers abonnés fidèles, d'où que vous veniez, où que vous surfiez, je vous souhaite une belle et sainte fête de Noël! Tous mes vœux vont aussi à vos proches, même et surtout si les circonstances imposent une certaine distance pour le moment. Sous le même toit ou à des milliers de kilomètres les uns des autres, que la journée de Noël soit belle pour vous et pour celles et ceux que vous aimez!

Source de l'image: Shutterstock.


mardi 22 décembre 2020

La vie ou la mort, à la puissance quatre

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Marc-Antoine Schibler – Né en 1989, le jeune écrivain fribourgeois Marc-Antoine Schibler est connu pour sa série de science-fiction "Tony Forkins" – c'était dans les années 2010, et ça s'adressait à un lectorat jeune. Paru en 2011, son petit dernier, fort de ses 80 pages, s'avère plus ramassé que la saga en plusieurs volumes qui l'a précédé. Plus adulte aussi! Reste la densité et le travail littéraire: "Au Bal des raisons" révèle un ouvrage prometteur autour d'un personnage, Zach Leman, veuf dans des conditions terribles, et de la symbolique du chiffre quatre.

Quatre? "Mari d'une épouse assassinée, ma vie, je l'ai perdue en même temps qu'elle.", indique la première phrase du prologue, qui sert d'incipit au roman. Celui-ci balance dès lors entre quatre raisons de vivre et quatre raisons de mourir, autour d'une lettre d'adieu chargée de sens, infiniment plus lourde que le papier qui la supporte. Et que l'auteur place comme par hasard sur une chaise à quatre pieds. Des pieds qui ont des initiales...

Ces initiales évoquent les quatre rencontres que Zach va faire en une folle journée, et qui le convaincront que la vie doit être vécue vaille que vaille, même si l'être cher est parti. Ces personnages sont pour le moins divers, surprenants pour le coup: une jeune femme à la beauté magnétique, un policier, une femme d'affaires milliardaire et un homme de foi. 

Chacun donnera à Zach une leçon de vie, l'espace d'une course en taxi, d'une mini garde à vue ou même d'une tentative de suicide sur une falaise. Habile astuce de l'auteur: ces leçons de vie résonnent à fond avec la lettre d'adieu de Zach, que le lecteur découvre dans son entièreté en fin de roman. Et le plus souvent, on est en mouvement: les véhicules, avion, voiture ou panier à salade, suggèrent la vie qui roule.

Alors oui, la journée de Zach s'avère chargée! Sa localisation est incertaine, Paris sans doute, mais un Paris où l'on dirait "huitante" (p. 9), et les mots ne sont pas toujours les plus exacts. Quant à Zach, sa bipolarité est-elle réelle, pathologique, ou le fait d'un auteur qui peine parfois à le cerner? Le flou persiste. Reste qu'il permet à l'auteur d'exceller dans l'organisation de scènes de rencontres tendues, où les réactions des uns et des autres ne cessent de déconcerter. 

Et au terme du récit, nous avons un personnage qui aura fait quelque peu le deuil le plus difficile qui soit, celui d'une compagne assassinée dont il n'a jamais revu le corps. Quatre personnes l'y auront définitivement aidé, à leur manière, rendant à Zach une certaine foi en l'humanité et, peut-être, en la transcendance. Cette transcendance qui résonne avec ce qu'il y a de plus terrien: les quatre éléments, eau, air, terre et feu, qui sous-tendent les quatre rencontres de Zach.

Marc-Antoine Schibler, Au Bal des raisons, Saint-Denis, Edilivre, 2011.

Le site des éditions Edilivre.

dimanche 20 décembre 2020

Dimanche poétique 478: Psaumes


L’amour du Seigneur, sans fin je le chante ;
ta fidélité, je l’annonce d’âge en âge.
Je le dis : c’est un amour bâti pour toujours ;
ta fidélité est plus stable que les cieux.

Avec mon élu, j’ai fait une alliance,
j’ai juré à David, mon serviteur :
j’établirai ta dynastie pour toujours,
je te bâtis un trône pour la suite des âges.

Il me dira : « Tu es mon Père,
mon Dieu, mon roc et mon salut ! »
Sans fin je lui garderai mon amour,
mon alliance avec lui sera fidèle.

Anonyme, Psaumes, in La Bible. Psaume du quatrième dimanche de l'Avent.

mercredi 16 décembre 2020

Neuf nouvelles pour dire le monde d'après

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Collectif – Elles sont neuf: ce sont les nouvelles réunies dans le recueil "Après! Le monde bouleversé". Il s'agit d'un ouvrage collectif qui réunit les textes lauréats ou remarqués dans le cadre du troisième Prix de l'Ailleurs, distinction suisse qui récompense pour la troisième fois cette année des œuvres de science-fiction. Signe de rayonnement, les auteurs sont suisses, mais pas seulement.

"Après!": tout un programme! C'est une invitation aux textes d'anticipation. Les auteurs ont donc le plus souvent, de façon classique sur le principe, prolongé et forcé certaines tendances lourdes, porteuses d'inquiétudes, déjà à l'œuvre aujourd'hui. 

Lauréats...

Le texte lauréat, "Un point au large" de Mélanie Fievet, embarque ainsi le lecteur dans un récit post-apocalyptique où une poignée de personnages recréent une société sur une de ces îles de plastique errant sur les mers et dont la presse parle parfois. Errants éternels, rejetés partout ou acceptés à des conditions strictes, les personnages mis en scène ne manquent pas d'évoquer les migrants qui tentent actuellement, par vagues, de traverser la Méditerranée pour rejoindre l'Europe. 

Le thème de l'errance apparaît également dans "Altères égales", médaille d'argent signée Philippe Pinnel, qui se met dans la peau de personnages féminins pour décrire une société qui réapprend à vivre par temps de grand froid – le changement climatique ayant engendré, sur Terre, des températures d'une extrême radicalité. On le retrouve aussi dans "En cendres, tout devient possible" de Louis Achille.

Il y a des couleurs étonnamment optimistes dans les deux textes qui occupent la troisième place du podium – de façon certes très différente. "Errances numériques" de Christophe Charles Künzi évoque certes les ravages de la numérisation qui grignote les métiers en les confiant aux robots, poussant les uns et les autres, et surtout ceux qui s'y attendent le moins, dans les derniers retranchements de leur savoir-faire. Soulignant l'effacement progressif de la frontière entre humain et robot, l'écrivain suggère en fin de nouvelle, de façon inattendue, que les robots pourraient devenir plus humains que les humains eux-mêmes. Quant à la nouvelle "What a wonderful world" de Claire Boissard, elle dessine un monde où l'écologie et la technologie se côtoient, apaisées, où Jahia, conseillère, explique aux uns et aux autres comment préserver leurs plantes.

... et sélection du jury

Les aléas d'une technologie devenue froidement folle hantent bien sûr "Errances numériques". On le trouve aussi, dans le cadre intimiste d'un couple, dans la nouvelle "Virus" d'Olivier Chapuis, qui détaille les intrusions de la technologie numérique jusque dans ces choses qui nous paraissent évidentes aujourd'hui encore: un bon repas aux chandelles avec de la vraie nourriture, une étreinte amoureuse. Cela, dans un contexte de classes sociales qui, c'est institutionnel, ne se mélangent pas. Mais que tout cela disjoncte par la faute d'un virus informatique... si le texte a sans doute été rédigé avant la crise du Covid-19, la chute résonne de façon particulière alors que nous sommes toutes et tous dans la gonfle virale. Relevons aussi que l'auteur y met en scène les funérailles de Roger Federer vues à l'écran, ce qui fait de "Virus" une nouvelle parente de son dernier roman, "Balles neuves".

La question des inégalités de classe indécemment exacerbées affleure également dans "De la neige dans les cheveux" de Jean-Guillaume Lanuque, une nouvelle qui se passe à côté d'une Biarritz ordonnée et réservée aux riches, dans un monde de la débrouille où même le livre papier a retrouvé ses lettres de noblesse face à son frère numérique. Relevons encore le motif du feu, métaphore du réchauffement climatique, qui traverse "Le Sapin roux" de Virginie Nebbia. Sans oublier le totalitarisme technologique, cause d'une aliénation parfaitement assumée, dans "Le bruit des bots" de Tristan Piguet, mettant en scène des personnages entièrement pris en charge par des appareils qui font réellement tout à leur place.

Ce recueil est généreusement complété par une préface signée Gaspard Turin et Nadine Richon, parfaite pour introduire une lecture au moyen d'une mise en contexte: la science-fiction invite à réfléchir, et cette préface y concourt aussi. Il est permis d'être quelque peu dubitatif face à la pertinence ici de la "participation critique" de Catherine Seiler sur l'aménagement du territoire en Suisse, si intéressante soit-elle en soi, à la fois historique et porteuse de projections d'avenir. En revanche, l'interview d'Antoinette Rychner, auteure du roman d'anticipation au féminin "Après le monde" qui conclut l'ouvrage, portée par les questions de Colin Pahlisch, initiateur du Prix de l'Ailleurs, elle donne tout simplement envie de se lancer dans ce genre littéraire, en tout cas à ceux que ça démange. A vos plumes! 

Collectif, Après! Le monde bouleversé, Vevey, Hélice Hélas, 2020.

Le site des éditions Hélice Hélas, celui de la Maison d'ailleurs.

Envie d'en être aussi? Le Prix de l'Ailleurs cuvée 2021 est en marche, sur le thème des bifurcations! Les conditions de participations sont ici.


dimanche 13 décembre 2020

Dimanche poétique 475: Anatole Le Braz


L'éternelle histoire

Ils avaient dit bonsoir aux femmes
En train de coucher les petits ;
Et, sur le dos mouvant des lames,
A la brune, ils étaient partis.


Ils étaient partis, à mer haute,
Pour conquérir le pain amer
Qu'il faut gagner loin de la côte,
Au péril de la haute mer.

Dans la nuit, la nuit sans étoiles,
Ils disparurent... A Dieu vat !
Le Guilvinec pleure cinq voiles,
Et cinq autres Leskiagat.

Pêle-mêle, mousses imberbes,
Patrons chenus, fiers matelots
Roulent, fauchés comme des herbes
Par le vent, ce faucheur des flots.

Oh ! la triste chanson d'automne,
Et qu'il fera froid, cet hiver,
Dans le coeur dolent des Bretonnes,
Veuves tragiques de la mer !

Anatole Le Braz (1859-1926). Source: Poésie.Webnet.

samedi 12 décembre 2020

Cinquante ans, la vie devant soi!

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Véronique Poulain – Il y a un côté feel-good dans "Célibataire longue durée" de Véronique Poulain. Dans ce roman, l'auteure exploite les codes de la romance, genre à la mode, pour mieux les renverser. Ne serait-ce qu'en mettant en scène un personnage féminin nettement plus âgé que la moyenne: Vanessa Poulemploi aborde la cinquantaine avec ses deux ados et une poignée d'amies et d'amis. Son but? Selon la quatrième de couverture: "trouver du travail, un sens à sa vie et... se marier." Ce résumé va jusqu'à enfoncer le clou: "Autant vous dire que ce n'est pas gagné", conclut-il.

Faussement léger, empreint d'un certain féminisme synonyme d'affranchissement des contraintes d'une société qui se dit libérale, "Célibataire longue durée" est construit en chapitres brefs et rapides. Ils sont cependant bien porteurs de sens, à commencer par le premier. Celui-ci décrit une femme en décalage avec elle-même, soucieuse surtout de complaire à ce que la société attend aujourd'hui d'une femme: le souci désespéré d'une certaine beauté physique, la parfaite conscience d'être célibataire donc en porte à faux avec les attentes familiales, la catégorie d'hommes intéressée à Vanessa, qui joue vaille que vaille le jeu d'une société marchande. Vivre à deux en ayant deux enfants et en prétendant avoir mené sa barque seule, être deux en jonglant avec les rôles antinomiques de la femme intime et de la femme à l'aise en société, jusqu'où est-ce que ça marche?

Comme souvent dans la romance, l'écrivaine met en scène un personnage féminin conçu comme une nouvelle page blanche, ou du moins noircie au minimum. Le lecteur saisit ainsi Vanessa Poulemploi à un moment où elle est sans relation régulière avec un homme, en rupture d'emploi qui plus est. Deux enfants? Ce sont des post-adolescents au fonctionnement assez prévisible, nés au fil des ans de pères disparus: en particulier, l'un ne cherche qu'à manger – ça crée un gimmick amusant, astucieusement exploité tant pour le rythme que pour l'action du roman. 

Mais pour la vie de Vanessa, il reste un certain nombre de choses à réécrire, à réinventer même. L'auteure a la bonne idée de faire de Vanessa Poulemploi la patiente d'une psychanalyste. Elle crée ainsi des respirations introspectives dans le roman, laissant Vanessa parler d'elle. C'est aussi l'occasion d'approfondir son personnage, de lui faire dire dans le cadre intime d'un cabinet quasi médical ce qu'elle n'oserait pas dire en public, même si Vanessa est présentée comme un personnage qui aime se livrer: il n'y a qu'à sa psy qu'on peut dire "J'aime trop la bite!" (p. 65).

Mais Vanessa Poulemploi est aussi sujette à son corps, qui change soudain à l'aube de la cinquantaine. L'auteure s'abstient d'alourdir le propos en mettant en scène un gynécologue parfaitement étranger à toute arrière-pensée, quitte à en faire une sorte de plombier pour femmes. Cela peut paraître froid; mais c'est aussi une manière de montrer que l'essentiel n'est pas là, ni pour Vanessa, ni pour le lectorat. Il sera question d'hystérectomie bien sûr; mais l'auteure ne dramatise pas.

De la même manière, on peut relever que Vanessa passe assez aisément d'un emploi à l'autre et qu'elle a de la ressource et du réseau. On la découvre écrivaine: c'est un succès d'estime, intime davantage que public, et l'on comprend entre les lignes que son livre, "Tritox", offre à Vanessa un peu de chaud au cœur qui vaut davantage que la gloire publique, peu présente d'ailleurs: même la possibilité d'un prix littéraire à Monaco ne sera pas réalisée. 

Enfin, comme une sorte d'apothéose et parce qu'une romance digne de ce nom doit se terminer par un mariage, l'issue de "Célibataire longue durée" revisite de façon très personnelle, certainement assez loin de l'esprit de la loi Taubira, la notion de mariage pour tous. L'auteure y fait jouer la notion d'"amis de l'héroïne" pour créer un final où tout le monde joue sa partition en chœur. De ce point de vue, il est permis de voir la fête surprise des 50 ans de Vanessa comme une répétition générale. Surtout, cette faite montre que si seul ou si seule qu'on soit, il y a toujours une bande de gens autour de soi pour que ça aille mieux, l'espace d'une soirée ou plus. Voilà qui fait du bien! Et voilà qui rappelle que même à l'heure d'aborder la deuxième mi-temps (comme le dit Hugues Serraf), on a encore la vie devant soi.

Véronique Poulain, Célibataire longue durée, Paris, Stock, 2016.

Le site des éditions Stock.

Lu par A bride abattueAnoukCathuluC'est quoi ce bazar, ChloéClarabelEva, Galleane, Les tentatricesLily, Lire-relireLittle Pretty Books, Parfums de livresSariah litSophie Adriansen, Spondy.

dimanche 6 décembre 2020

Dimanche poétique 474: anonyme

Avec Abeille, Ankya, Azilis, Chrys, Emma, Fleur, George, Herisson08, Hilde, Katell, L'Or rouge, La plume et la page, Maggie, Violette.

Patron des écoliers

Ô grand Saint Nicolas,
Patron des écoliers,
Apporte-moi des pommes
Dans mon petit panier.
Je serai toujours sage
Comme une petite image.
J'apprendrai mes leçons
Pour avoir des bonbons.

Venez, venez, Saint Nicolas,
Venez, venez, Saint Nicolas,
Venez, venez, Saint Nicolas, et tra la la...

Ô grand Saint Nicolas,
Patron des écoliers
Apporte-moi des jouets
Dans mon petit panier.
Je serai toujours sage
Comme un petit mouton.
J'apprendrai mes leçons
Pour avoir des bonbons.

Venez, venez, Saint Nicolas,
Venez, venez, Saint Nicolas,
Venez, venez, Saint Nicolas, et tra la la...

Anonyme. Source: Hello Family.

jeudi 3 décembre 2020

Une nouvelle légende des cafés, avec le sourire

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Benoît Caudoux – "Je sors de chez moi, je traverse un peu de ville et je vais au café". Tout est dans cet incipit que le lecteur va retrouver, tel quel ou sujet à de menues variations, au début des quatorze chapitres du roman "Sur quatorze façons d'aller dans le même café", roman de Benoît Caudoux. Il sera question en effet du logement d'un narrateur à l'identité fluctuante, de la ville où il habite et du café qu'il hante. 

Alors oui: au début, ça fait drôle de se plonger dans un roman qui dit les détails, les gens, qui regarde et qui écoute, bref: qui brille d'une attention de tous les instants. Le lecteur se sent du coup plongé dans quelque chose qui ressemble à un tropisme façon Nathalie Sarraute. Il y a le sourire en plus, mais n'anticipons pas: le premier chapitre pose le décor. 

En effet, le premier parcours vers le café est un moment où le narrateur se situe par rapport à la foule, à la fois étranger et observateur, auditeur aussi. Qui est hostile à qui? Cette recherche d'une bonne distance entre soi et les autres se retrouve dans la description des moments passés au café, en particulier avec ce bonhomme qui boit sa bière au bar à côté d'un narrateur assoiffé de bière et de livres qui n'a pas très envie d'engager la conversation mais se laisse prendre au jeu quand même, les bières faisant le lien.

Il y a dans "Sur quatorze façons d'aller dans le même café" ce goût pour les détails de la vie auxquels personne ne prête d'attention, ou si peu. La porte du café, de ce point de vue, est emblématique: alors que d'ordinaire, on la pousse sans y prendre garde, l'auteur la met franchement en évidence par des rectangles dessinés où apparaît, en bâtons, le numéro du chapitre. Ces portes subdivisent les chapitres en deux: passé la porte dessinée, le lecteur est symboliquement dans le café avec le narrateur.

Cet intérêt pour les objets dont tout le monde se fiche ne s'arrête pas au café, et c'est même l'un des ressorts de l'humour de ce roman. Le lecteur ne peut que sourire, par exemple, à l'évocation décalée de la relation quasi amoureuse du narrateur avec le sol de son appartement, auquel il arrive même de balancer des assiettes à la figure. Il y a un chapitre d'anthologie aussi, franchement cocasse, où l'auteur se vante d'avoir des slips bulgares, bien éloignés de l'esbroufe des slips australiens. Les kangourous n'ont qu'à bien se tenir.

L'ambiance des cafés, c'est aussi les personnes qui les hantent. On ne saura pas grand-chose du bonhomme qui boit sa bière au bar au chapitre 2 et qui paraît être une ombre. On trouvera plus savoureuse, pour le meilleur,  l'évocation de ce bonhomme qui explique son métier de distributeur d'échantillons pour France Télécom, inventeur de machines inutiles – écho à l'écrivain lucide sur l'utilité de ses livres? Et toujours aussi savoureux, quoique moins aimable, il y a le bonhomme qui pérore sans fin. 

A sa manière, l'écrivain dessine ainsi une nouvelle "Légende des cafés", qui fait penser de loin au recueil de chroniques de Georges Haldas. Quatorze chapitres, cela dit, c'est autant que les stations d'un chemin de croix traditionnel, et il serait intéressant d'approfondir une telle lecture. Cela, d'autant plus que la souffrance du Christ, perçue comme belle, est furtivement évoquée (p. 107). Ces questions autorisent le lecteur à lui-même divaguer dans des théories à caractère mystique, par exemple sur ce philosophe arabe qui considère que Dieu devrait être considéré comme petit, parfait parce qu'il n'est pas encombré de sa grandeur.

Le narrateur, enfin, assume un certain sens du ridicule et accepte de jouer un rôle en société. C'est ainsi que l'on peut comprendre le dernier chapitre de "Sur quatorze façons d'aller dans le même café", où le narrateur, décrivant son sourire naïf, fiche à son tour la banane à son lectorat. Mais ce rôle de naïf, comme pas mal d'autres d'ailleurs, le narrateur l'a joué tout au long du roman déjà, en observant avec un regard neuf tout ce qu'il y a chez lui, sur le chemin et au café. 

Benoît Caudoux, Sur quatorze façons d'aller dans le même café, Paris, Leo Scheer, 2010.

Le site des éditions Leo Scheer.

Lu par Save My BrainSébastien Arnold.