Pages

mercredi 12 août 2020

Peter und so weiter, comment devenir quelqu'un

Mon image

Alexandre Lecoultre – "Depuis un certain temps, on veut qu'il devienne quelqu'un, mais Peter il ne sait pas qui." Tout un programme: c'est celui de "Peter und so weiter", roman d'Alexandre Lecoultre. L'écrivain y met en scène un certain Peter, personnage en quête de soi. Un bonhomme attachant, mais aussi presque anonyme: Peter, c'est "Peter und so weiter", celui dont on ne connaît pas le nom de famille et dont le prénom varie au gré de ses locuteurs: il va sonner italien ou espagnol à l'occasion. Quand il n'arborera pas les atours du dialecte alémanique. 

Mais qui est Peter? C'est une attachante énigme, de bout en bout du roman, ou alors une esquisse: en somme, c'est un jeune homme qui vit de toutes sortes de petits boulots, obtenant un verre de vin ou un "kafi" contre quelques heures de travail au bistrot ou chez les épiciers des "Petits-bras". Est-il à la recherche d'un sens pour sa vie? Oui, mais à sa manière simple, alternant petits boulots et sommeil, mais aussi rencontres. On pense aux Roumains qui jouent de la musique, à Nina qui travaille avec Peter au bistrot, aux habitués même à l'instar de ce fan des jeux à gratter qui veut ses trois cerises, à ces recrues en gris-vert croisées dans le train et avec lesquelles il se lie l'espace d'une ou deux bouteilles, simplement parce qu'elles ont les mêmes mots que lui.

L'auteur vit à Berne, chef-lieu d'un canton bilingue, et la lecture s'en trouve quelque peu conditionnée: on conçoit que le cadre est bernois, que le "dorf" de Z. pourrait bien être Berne, cette capitale qui est restée un village à certains points de vue, traversée par un "Fluss" qui pourrait être l'Aar, où les Bernois aiment se baigner. De plus, par son rythme général, par son penchant calculé pour l'oralité, la narration fait irrésistiblement penser aux belles pages de Pedro Lenz. Il y a une certaine lenteur, une épaisseur matoise dans le propos, mais aussi une capacité de l'auteur à penser par images plus que par concepts, comme le fait la langue allemande – et plus encore, peut-être, le dialecte alémanique. C'est ça de gagné pour la poésie. 

Cette poésie se fonde aussi sur la répétition obsédante de certains mots et concepts, par exemple la description de celle qui sera la femme de la vie de Peter: "Celle avec le regard qui le regarde et le sourire qui lui sourit". Il joue aussi sur les emprunts aux langues et dialectes qu'on entend en Suisse, qu'ils soient ou non nationaux: beaucoup de dialecte alémanique pour ancrer le récit à l'est de la Sarine, avec tous ses "-li", un peu d'italien, de l'espagnol et même du roumain. Le substrat de "Peter und so weiter" est certes francophone, du coup, mais les clins d'œil aux langues d'ici et d'ailleurs épicent le propos, suggérant qu'en Suisse, on peut parler de partout. Et qu'il arrive qu'on cherche ses mots.

Chercher ses mots? Bel effort! Peter peine parfois à les trouver, il parle peu et efficace, ne sait ou ne peut pas toujours dire les choses, répond parfois de travers, quitte à faire sourire – son vocabulaire est restreint à celui de ses activités, elles-mêmes confinées. L'auteur place face à lui un poète, le "Schriftsteller", qui peine lui aussi à trouver les bons mots, à son niveau à lui. Cela suggère que partout, les mots échappent à ceux qui veulent les prononcer. Quant à l'arrivée de cette fille qui sera l'amie fugace de Peter, elle sera une experte en mots et ouvrira des portes. L'écriture devient dès lors volubile, on parle de lunettes de soleil, de livres. Ils s'aimeront... et d'une certaine manière, la musique de la toute fin de "Peter und so weiter" ne sera pas tout à fait la même qu'au début: elle paraît plus grave, sans qu'on sache trop pourquoi. Peut-être parce que certains mots ont retrouvé leur place, bien ordonnée.

Romans des gens anonymes voire transparents (la voisine de palier de Peter ne le reconnaît jamais, c'est un gimmick amusant), ouvrage atypique, "Peter und so weiter" est surtout le roman d'une petite musique qui appelle la scansion à haute voix, recréée avec la minutie d'un Ramuz par un écrivain inspiré qui fait œuvre de poète à partir des petites choses de la vie. 

Alexandre Lecoultre, Peter und so weiter, Lausanne, L'Age d'Homme, 2020.

Le site d'Alexandre Lecoultre, celui des éditions L'Age d'Homme.

Lu par Francis Richard.

6 commentaires:

  1. Très belle chronique ! merci pour la découverte de ce livre qui me tente bien à te lire :)
    Bonne journée !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Très suisse dans le genre, avec un très beau travail sur la langue. En effet, c'est à découvrir!
      Bonne journée à toi!

      Supprimer
  2. Réponses
    1. Il est très bon, en effet, avec un grand soin apporté à l'écriture. Je t'en souhaite une agréable découverte, s'il croise ta route!

      Supprimer
  3. D'ailleurs j'ai créé un blog recement qui s'appelle "onlitcommeonaime.blogspot.com"" j'aimerai beaucoup avoir ton avis sur mon blog !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je viens de passer sur ton blog, Kim, et ce fut intéressant! Je me suis abonné dans la foulée, et l'ai intégré à ma blogroll dynamique. J'aurai plaisir à suivre tes nouvelles publications! Je te souhaite beaucoup de plaisir à bloguer.

      Et merci pour ton passage par ici, ainsi que pour tes commentaires! Belle journée à toi!

      Supprimer

Allez-y, lâchez-vous!